Vers un dénouement du conflit du Sahara (Par Abderrahim Chiheb)

Par Abderrahim Chiheb*

L’Institut Royal des Études Stratégiques vient de rendre public un ouvrage sous le titre Le livre blanc de la question du Sahara marocain, à quelques jours seulement de la commémoration du 48ème anniversaire de l’annonce de la Marche Verte; la publication par le Secrétaire Général de l’ONU de son rapport sur le Sahara marocain, l’adoption par le Conseil de sécurité ce lundi med’une nouvelle résolution sur cette question et la prorogation d’un nouveau mandat de la Minurso pour l’année 2024.

Ce livre tombe à point nommé, à un moment où le dossier du Sahara marocain rentre dans une nouvelle phase et prend, de fait, et suite à une longue évolution, un virage décisif, au niveau du Conseil de sécurité de l’ONU qui plaide, à présent, en faveur de la position marocaine. Cette évolution heureuse laisse augurer d’un règlement rapide de ce contentieux, et permettre à notre pays d’obtenir, espérons-le de tout notre cœur, gain de cause et clore définitivement ce dossier éminemment stratégique et important, non seulement pour l’État marocain mais pour la nation toute entière.

En vue de permettre à chacun de saisir  les aspects essentiels de ce dossier complexe, la question du Sahara marocain est appréhendée à travers trois séquences au cours desquelles  l’attention sera portée respectivement premièrement sur un aperçu sur les éléments saillants traités dans cet ouvrage ainsi que les conclusions auxquelles ils ont abouti, deuxièmemement la mise en lumière des étapes qui semblent avoir été déterminantes dans l’histoire et l’évolution de la question du Sahara marocain, et enfin, troisièmement le regroupement de ces étapes en deux périodes distinctes qui se différencient l’une de l’autre, notamment par le style et la gestion politique du dossier du Sahara marocain pendant les règnes respectifs de Feu Sa Majesté Hassan II et Sa Majesté le Roi Mohammed VI.

Par son contenu et à travers une analyse minutieuse et précise à la fois, cet ouvrage lève le voile sur les faits historiques ayant conduit à ce qu’il convient d’appeler un conflit fabriqué artificiellement de toutes pièces et qui oppose le Maroc à l’Algérie depuis un demi siècle ; tout en rappelant, avec pertinence, les fondements historiques de la souveraineté du royaume sur cette partie de son territoire.

Outre ces deux aspects qui semblent essentiels, ce livre fait également état de l’extraordinaire développement que connaissent actuellement les provinces du sud à tous les niveaux ; lequel développement contraste avec la situation terriblement précaire qui prévaut dans les camps de Tindouf. Et au terme de cette analyse, ce livre s’achève en montrant clairement l’Algérie du doigt et en la désignant ouvertement comme partie prenante dans ce différend sur le Sahara marocain qu’elle s’obstine à instrumentaliser et à entretenir sciemment et délibérément, depuis l’indépendance du Maroc ; et ce, aux dépens du bon sens et de la clairvoyance. Ce qui rend vaines, en fin de compte, toutes tentatives de rapprochement, de réconciliation ou de coopération entre nos deux pays ; et ajourner sans cesse la construction et le développement  du projet du Maghreb  et le réduire à une utopie stérile.

Ce grand rêve, ce projet fédérateur qui reste, pour le moment, lettre morte, et, faute d’être grippé, fait perdre malheureusement aux pays de cette région des opportunités de toutes sortes, et les rend, surtout fragiles et vulnérables face, notamment, à la mondialisation, la concurrence très féroce et à l’hégémonie  des grands blocs économiques qui font la loi à travers le monde.

Tout au long de ce conflit, le Maroc n’a cessé de donner les gages de sa bonne foi, de faire des concessions et des propositions en vue d’aboutir à une issue politique à ce différend. Bref, le Maroc a toujours cherché l’apaisement et ne cesse de  tendre une main fraternelle à l’Algérie ; qui, en retour, répond systématiquement par le refus, la suspicion, l’obstination, le dénigrement et l’arrogance.

Oui ! L’Algérie porte entièrement la  responsabilité  du statu quo qui prévaut dans le Maghreb et du blocage politique qui non seulement sanctionne sévèrement le développement économique de cette région, mais compromet, en plus, son présent et son avenir, tout à la fois, en l’exposant, gravement et injustement, au risque et au danger d’une confrontation fratricide, où il n’y aura ni gagnant ni perdant mais seulement des perdants. Un conflit armé, si jamais il se produisait, viendrait réduire tout à néant. Pour s’en convaincre, il suffit de voir ce qui se passe à travers la planète et la situation des pays où la guerre a eu lieu. Mais, le Maroc n’est pas pour autant désespéré ni découragé face cette situation de marasme. C’est pourquoi il continuera à œuvrer en faveur d’un règlement pacifique de ce conflit qui n’a que  trop duré !

La deuxième séquence ne reprend pas la question du Sahara marocain depuis le début du processus du démantèlement de l’empire chérifien au cours des 19ème et 20ème siècles  comme cela est exposé dans ce livre, mais plutôt  à partir de 1974, date à laquelle ce dossier a pris un tournant majeur, une nouvelle phase de turbulences lorsque Feu Sa Majesté Hassan II a porté cette question devant la Cour Internationale de Justice à laquelle celle-ci  a rendu un avis de jurisprudence bien particulier dont la teneur : Oui pour les liens juridiques d’allégeance unissant le Maroc aux tribus du Sahara, et Non pour la souveraineté territoriale du royaume sur ce territoire. Ce qui ouvre selon cette logique, la voie, donc, au référendum et à l’autodétermination dont notre pays, de toute évidence, ne veut pas entendre parler. Que faire donc face à cet imbroglio d’une part, et face aux tergiversations et atermoiements de l’Espagne d’autre part, qui traîne les pieds et louvoie  pour ne pas restituer au Maroc  le territoire qu’elle occupe depuis les décisions prises à la conférence de Berlin en 1884 ?

Ainsi, le 6 Novembre 1975, le Souverain défunt opère une manœuvre politique géniale et  met l’Espagne devant le fait accompli en lançant une grande marche pacifique, la Marche Verte, sur ce territoire, à laquelle 350.000 marocains civils prennent part. Arrivée à ce stade, l’Espagne fait savoir qu’elle renonce à continuer à occuper le Sahara ; d’autant plus qu’elle  n’était pas prête à prendre le risque de déclencher une guerre avec le Maroc en tirant sur les marcheurs civils non armés participant à cette marche. Ce concours de circonstances qui a fini par  contraindre l’Espagne à venir à la table des négociations et signer, avec le Maroc et la Mauritanie, les accords de Madrid, le 14 Novembre 1975.

Après et suite aux accords de Madrid et le retrait de l’Espagne du territoire qu’elle occupait, le royaume allait connaître une période sombre et délicate, qui s’est traduite par une guerre, très coûteuse et des sacrifices énormes. Les nombreuses et diverses péripéties de cette période  n’ont cessé qu’avec la construction d’un mur de sable de 2720 Km, tout au long des frontières maroco-algériennes. La fonction de cet ouvrage est, donc, de protéger, les centres importants de ce territoire, en particulier Laayoune, Bouqraâ, Smara et Boujdour, contre les attaques de l’ennemi ;  qui n’ont réellement pris fin qu’après la signature, le 6 septembre 1991, entre le Maroc et le Polisario sous l’égide de l’ONU et le déploiement de la Minurso.

Ce cessez-le-feu, ayant duré de 1991 à 2020, a conduit au gel du conflit sur le plan  militaire. Cette situation de longue accalmie présente indéniablement quelques avantages pour le Maroc dont le tout premier est la réduction significative des dépenses considérables inhérentes à l’effort de guerre. Ce statu quo lui a permis, surtout, d’avoir le temps, pour lui et non contre lui, pour pouvoir revoir sa copie, réfléchir, reconsidérer la situation dans sa globalité, définir une nouvelle vision avec des priorités nouvelles et des objectifs nouveaux. Ainsi les ressources financières qui servaient auparavant à soutenir l’effort de guerre ont été, par la suite, réorientés vers l’investissement et le développement économique du royaume, et des provinces du sud tout particulièrement.

Sur le plan politique, le gel du conflit pendant plus de trois décennies n’a fait que renforcer la position de notre pays tant vis-à-vis des ennemis de notre intégrité territoriale, que vis-à-vis du Conseil de sécurité et de nombreux pays qui, à présent, soutiennent le Maroc  car, ils ont acquis la conviction  qu’il est devenu nécessaire et urgent de mettre un terme à cette crise qui n’est, au demeurant,  que le résidu de la guerre froide.

La troisième et dernière séquence s’articule autour de la nouvelle  vision qui a émergé et prévalu, sous le règne de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, dans la gestion de la question du Sahara marocain. Le premier geste emblématique et majeur de cette nouvelle ère, s‘est concrétisé par la proposition de l’autonomie élargie pour les provinces du sud sous souveraineté du Maroc, faite par le Maroc à la partie adverse, en 2007.

Et en parallèle, le royaume a déployé une diplomatie offensive et efficace à la fois pour convaincre l’opinion internationale de l’intérêt et le sérieux de sa proposition. Ce qui a permis à notre pays non seulement de consolider sa place en tant que partie crédible dans le processus onusien au Sahara, mais aussi de fragiliser la position des ennemis de l’intégrité territoriale du royaume. Ainsi, depuis qu’il a été rendu public, le projet d’autonomie élargie n’a cessé de susciter l’approbation et le soutien  de beaucoup de pays, notamment des membres influents de la communauté internationale.

Cependant, depuis 2006, il s’en est passé des choses au Maroc, beaucoup de choses, et le principal événement qui mérite mention est la violation, à l’initiative de la milice séparatiste du Polisario, en novembre 2020, du cessez-le-feu qui a duré trente cinq années. En effet, le Front Polisario a décrété unilatéralement la rupture du cessez-le-feu à la suite de l’intervention militaire, le 13 novembre de cette année, des Forces Armées Royales à El Guerguerat pour libérer la voie au trafic routier vers la Mauritanie qui était bloquée, pendant plusieurs semaines, par des  centaines de  manifestants séparatistes.

Malgré cette nouvelle péripétie et ce regain de tension,  le scénario d’une reprise des hostilités entre les parties, impliquées dans ce conflit, reste improbable. Mais quoiqu’il en soit, le Maroc d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui d’hier. A présent, le Maroc est en position de force grâce aux avancées considérables qu’il pu réaliser, au cours des deux ou trois dernières décennies, en particulier dans les domaines économique, industriel, technologique et militaire, qui lui confèrent, aujourd’hui, une bonne position dans le concert des nations ; et par la même les moyens de se défendre et de faire face à toutes les éventualités.

Cela se comprend mieux et plus clairement quand on sait que quelques mois seulement auparavant un événement spectaculaire est intervenu pour changer radicalement le cours de ce conflit qui dure et se poursuit depuis plusieurs décennies. Il s’agit de la normalisation des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël suite à la signature en 2020, des Accords d’Abraham et la reconnaissance par les États-Unis de la marocanité du Sahara. Ces événements majeurs, et les conséquences qui en ont découlé, notamment les accords de coopération militaire signés entre le royaume et Israël, sont, en réalité, un cataclysme géopolitique dans la région du Maghreb qui a modifié significativement les rapports de force, non seulement  entre le Polisario et le Maroc mais entre ce dernier et l’Algérie elle-même. Grâce, justement, à cette coopération soutenue et dynamique  entre notre pays et l’État hébreu, le Maroc a pu faire l’acquisition de la haute technologie militaire, les drones entre autres, qui ont changé radicalement la situation sur le terrain en donnant à notre armée les moyens de sécuriser les frontières menacées et d’affaiblir considérablement les capacités d’incursion du Polisario.

De même, grâce aux progrès substantiels réalisés dans le développement économique des provinces du sud ainsi qu’aux avancées diplomatiques enregistrées concernant la question de l’intégrité territoriale au cours des quatre dernières années, Laayoune et Dakhla ont vu l’ouverture d’une trentaine de consulats généraux pour représenter diplomatiquement leurs pays dans ce territoire. Ces pays et d’autres ont bien vu et compris  que ces provinces du sud sont en passe de devenir un hub économique, une plaque tournante qui illustre la vision et la stratégie du Maroc en Afrique.

Au terme des développements contenus  dans chacune des trois séquences, il convient de  conclure cette réflexion en mettant en lumière les observations ci-après en vue de garder présent à l’esprit ce qui semble être  fondamental concernant la question du Sahara marocain :

La première séquence s’efforce de montrer que Le livre blanc de la question du Sahara marocain, à travers l’aperçu qui en a été donné, a le grand mérite de rendre clair et d’expliquer, arguments à l’appui, comment et pourquoi le Sahara  a été et restera marocain malgré les vicissitudes de la fortune et les tribulations de l’Histoire. Parce que ni les  anciennes puissances coloniales, autrefois, ni l’Algérie, d’aujourd’hui, n’ont  pu et ne peuvent falsifier l’Histoire et remettre en question les droits historiques du royaume sur son Sahara, et ce quoiqu’elles aient dit ou fait et quoiqu’elles disent ou fassent.

C’est ce que semblent ressortir des propos du directeur général de l’Observatoire d’études géopolitiques, Charles Saint-Prot, à l’occasion d’une interview donnée à l’hebdomadaire tunisien « L’expert », au cours du mois de septembre 2020  où il confirme que le conflit autour du Sahara est « un conflit artificiel créé de toutes pièces par le régime algérien et le bloc communiste au milieu des années soixante-dix, notant que le Sahara marocain aurait dû revenir naturellement au sein de la mère-patrie marocaine après le départ des colonisateurs espagnols qui a suivi la Marche verte en novembre 1975 et marqué la fin de la colonisation ».

Dans les deux autres séquences, il a été question de mettre en exergue, autant que faire se peut, les différences ayant prévalu sous les règnes respectifs de Feu Sa Majesté Hassan II et Sa Majesté  le Roi Mohammed VI, quant à la gestion de la question du Sahara marocain. S’il est vrai que les époques et les contextes géopolitiques ne sont pas les mêmes, il est tout autant vrai que le Maroc, à l’époque du défunt Feu Sa Majesté Hassan II,  était globalement dans une situation difficile politiquement parlant ayant à prendre des décisions également ; comme l’internationalisation du conflit du Sahara en 1974 le retrait du Maroc de l’organisation de l’Unité Africaine en 1984. Mais, quelle était la marge de manoeuvre du Maroc dans le contexte géopolitique difficile et complexe de la guerre froide à l’époque ? Dit autrement, pouvait-il faire autre chose ou agir autrement ?

Cette situation  qui paraissait, autrefois, sans issue a commencé progressivement à s’éclaircir et à se redresser tout doucement avec le nouveau règne grâce, justement, à un nouveau style de gestion fondé sur de nouveaux concepts et une vision nouvelle et holistique où se conjuguent réalisme politique,  pragmatisme, efficacité et circonspection. La proposition  du plan d’autonomie élargie pour les provinces du sud sous souveraineté du Maroc et les Accords d’Abraham sont la plus belle illustration de ce qui a donné à ce conflit une toute nouvelle configuration qui avantage indiscutablement le Maroc. Avec cette nouvelle situation, associée au soutien franc et massif de pays importants dont notamment les États-unis, l’Espagne l’Allemagne et beaucoup de pays du monde arabe et de la communauté internationale, on s’achemine vers la liquidation et l’enterrement de cette construction fantomatique qui s’appelle le Polisario. C’est le plus grand mal qu’on peut souhaiter à notre pays.

*Universitaire et ancien cadre supérieur au Ministère de l’Intérieur