« Ce qui ne tue pas rend plus fort. »
Dr. Abderrahim Chiheb*
Par la portée métaphorique et le sens du proverbe cité en titre, cela signifie que les expériences douloureuses de la vie, une fois surmontées, rendent l’homme moins vulnérable face aux aléas, à l’imprévisible et au destin. Telle est la sagesse de ce proverbe. L’enseignement qui en a été tiré, est profondément ancré dans l’imaginaire collectif marocain. L’histoire millénaire du Maroc est pétrie, modelée et forgée par tant d’épreuves et d’expériences aussi diverses que difficiles, auxquelles ce pays a dû faire face. Ce vaillant peuple, tout au long de son histoire, a appris à surmonter et accepter le destin divin. Une immunité quasi-naturelle et une résilience que le peuple marocain sait faire valoir lorsqu’il est mis à l’épreuve ou confronté à l’adversité. C’est un trait de caractère distinctif de notre culture par lequel on nous connaît et reconnaît à travers le monde.
Il y a un mois, notre pays a subi, hélas, un nouveau coup du sort avec le séisme d’Al Haouz. Et une fois de plus, il a été terrible, meurtrier et dévastateur. La nation toute entière a été meurtrie, endolorie, éplorée et endeuillée ; mais aussitôt après, la nation toute entière s’est relevée avec dignité et détermination, comme un seul homme, pour se remettre debout, se reprendre en main, faire tout ce qui est possible à faire et tout ce qui peut et doit être fait dans de pareilles circonstances : essuyer les larmes, consoler les malheureux, dégager les ensevelis sous les décombres, panser les plaies, soigner les blessés, enterrer les morts, hébergé les sinistrés…
Tout les marocains et le monde entier ont été, à la fois, sidérés, subjugués, émerveillés et émus par l’élan de solidarité et de fraternité sans précédent et de l’état d’esprit dont les populations ont fait montre. Un état d’esprit marqué de l’empreinte d’un sens peu commun de la compassion, de l’empathie, de l’abnégation, du dévouement et du sens du sacrifice.
En agissant comme il l’a fait face à ce désastre, le Maroc à donné à voir au monde entier l’image d’un État-nation fort, d’un peuple généreux, attaché aux liens sacrés l’unissant à son Roi et à son armée. L’efficience et l’efficacité de cette dernière se sont illustrées admirablement par le travail effectué et les missions accomplies sur le terrain pour contenir les effets collatéraux dévastateurs du séisme. Parmi les résolutions multisectorielles, les décisions prises et les actions engagées, à tous les niveaux, suite au désastre, l’attention a été particulièrement axées sur:
Le rôle de leadership et d’avant-garde de Sa Majesté le Roi, son implication personnelle dans la conduite et la gestion effective de la catastrophe ont été perçus comme une réponse providentielle et salués à l’unanimité. Tandis que, le rôle clé et majeur, joué par les F.A.R, dans cette crise se passe, en réalité, de tout commentaire. Ce rôle est apparu clairement à travers les performances qui ont été rendues possibles grâce au sens aigu du devoir, de l’esprit de responsabilité et du professionnalisme de l’armée et des autres forces de protection civile et de sécurité qui ont fait la démonstration d’un courage sans précédent.
Enfin, l’extraordinaire élan de cœur, de fraternité, de générosité et de solidarité que les marocains ont manifesté à l’égard de leurs compatriotes sinistrés, a profondément surpris, étonné et touché en premier lieu les marocains, avant le reste du monde. Cette mobilisation d’envergure est quelque chose d’inédit qui nous réchauffe le cœur, nous autres marocains, et nous rassure par là même sur ce que nous sommes et sur les valeurs morales dont nous sommes encore les porteurs et les dépositaires.
Ces valeurs ancestrales, héritées de nos aïeux, continuent, de nous inspirer et de nous guider. Elles n’ont rien cédé de leur force à cette modernité ravageuse qui ne nous fait pas que du bien. C’est une leçon dont pas mal de peuples, peut-on dire, auraient besoin. Cette leçon vient rappeler modestement aux hommes ce qui fait défaut au monde d’aujourd’hui et qui rend cette postmodernité de plus en plus menaçante pour l’homme lui-même.
Le Maroc a montré, à tous ceux qui le regardent à travers la toile médiatique internationale, une image surréaliste d’un Maroc en communion, d’un Maroc solidaire et uni, célébrant les valeurs de la collectivité et veillant sur le bien être de la communauté. Une image qui a suscité l’admiration, la compassion et le respect d’un grand nombre de pays frères et amis à travers le monde. Ils nous ont tous exprimé, à cette occasion, leurs vives condoléances, leur solidarité et leur disponibilité à apporter aide et assistance à notre pays .Voilà ce qui doit nous honorer et nous rendre fiers de notre identité marocaine et notre appartenance réelle à un État-nation. En effet, peu de temps après la catastrophe, les dispositions du Plan de Gestion des Catastrophes Naturelles (PGCN) ont été rapidement mises en œuvre suivant un mode de pilotage proactif, rapide et efficace et un suivi, en temps réel, de l’évolution de la situation sur le terrain.
Cela s’est traduit, effectivement, sur place, par une collaboration et coordination entre l’ensemble des entités intervenant dans ce plan (Les services déconcentrés, les F.A.R, la gendarmerie royale, les forces auxiliaires, la protection civile, le Croissant rouge, les divers centres médicaux de proximité et le CHU de Marrakech). En parallèle, sur le terrain, une course contre la montre a été engagée pour sauver le maximum de vies humaines, et ce en dépit des difficultés d’accès aux zones sinistrées qui ont ralenti le déploiement de la logistique du génie civil de l’armée lors des premières opérations de secours.
Parallèlement à cette nécessité extrême d’agir dans l’urgence, toutes les décisions, les mesures et dispositions nécessaires ont été prises, et ce, à tous les niveaux ; en ayant toutes, comme cadre de référence, une vision holistique définie préalablement. Cela a permis assez vite la circonscription, sur la base d’un diagnostic précis, l’étendue de la zone d’impact et la déclinaison d’un programme ambitieux de reconstruction et de mise à niveau des infrastructures affectées par le séisme. Un programme réfléchi, intégré, ambitieux et volontariste visant à apporter une réponse rapide à l’urgence, conformément aux Instructions Royales données au gouvernement.
Ce programme, qui s’articule principalement autour de la reconstruction des logements et la mise à niveau des infrastructures endommagées, doit impérativement prendre appui, selon les vœux mêmes du Souverain, sur une gouvernance réactive et concertée dont les maîtres mots sont la rapidité, l’efficacité, la rigueur, des résultats probants et la réédition annuelle des comptes en toute transparence. C’est donc une vision globale et cohérente d’un projet reposant sur un diagnostic précis, des objectifs clairs, une méthodologie rigoureuse et une gouvernance performante.
Aussi, convient-t-il de faire un bilan exhaustif et une évaluation approfondie et précise de tout ce qui a été entrepris jusqu’à présent lors de cette crise. Cela permettra, en référence bien évidemment aux standards internationaux en la matière, de déterminer les dysfonctionnements en marge de gestion de la crise et des premiers retours de l’évaluation des besoins n’ayant pas été identifiés. Dans même sillage, il est aussi question de l’analyse de ce qui a été fait et bien fait pour le valider, de ce qui a été fait mais moins bien fait pour l’améliorer et, enfin, ce qui n’a pas été fait et qui reste à faire.
Dans le même ordre d’idées, mettre à jour le PGCN actuel, en tenant grandement compte de toutes les données et de tous les risques et aléas spécifiques à notre pays , pour le doter en capacités conceptuelles et opérationnelles requises lui permettant de faire face à tous les scénarii de risques potentiels ou réels qui menacent ,inéluctablement , à moyen et à long terme, notre pays. Pour ce faire, il faudrait inscrire en amont au niveau de la doctrine de la gouvernance des risques naturels majeurs, des procédures et des protocoles traçabilisés suivant un chronoprogamme précis.
Cette démarche présente un double intérêt dans la mesure où elle donne la possibilité aux parties concernées de rectifier ce qui doit l’être, ici et maintenant, pour répondre aux besoins urgents et aux problèmes posés dans la situation de crise actuelle; et permet, en même temps, d’améliorer, de performer et d’optimiser les différentes dispositions du P.G.C.N. Car, loin d’être un pur fantasme ou une simple vue de l’esprit, comme certains ont tendance à le penser et à le faire croire autour d’eux, les risques, dont il est question, sont bien réels et bien là : le risque sismique, la désertification, les changements climatiques, les inondations, le stress hydrique et autres risques, qu’on ne connaît même pas, sont autant de risques et de menaces qui pèsent effectivement sur notre pays.
C’est pour ces raisons que la création d’une Agence ad hoc, dédiée exclusivement à la Gestion des Risques et Catastrophes Naturelles et dotée d’une ingénierie conceptuelle et opérationnelle efficace, « Qui est qui? Qui fait quoi? Où? Quand? Comment?» s’avère plus que nécessaire ; d’autant plus que la réactivité des ministères concernés, lors des premières heures post-séisme, a révélé ses limites et sa déficience.
Sans aucun doute, la création de cette Agence Nationale dispensera, les entités censées intervenir, en cas de crise majeure comme celle que nous vivons aujourd’hui, de la posture proactive, du flottement, de la perte de temps face le nécessité d’agir vite, de l’improvisation qui, en fin de compte, sont contre-productifs et génèrent, presque toujours lors des opérations de sauvetage et de secours, des conséquences néfastes, notamment en termes des vies humaines.
En définitive, que peut-on encore dire du séisme sinon que cette tragédie humaine nous a appris, à nous au Maroc et aux autres ailleurs, plein de leçons et d’enseignements sur les mystères de la vie où les contraires sont toujours intimement liées: la vie donne la mort ,qui à son tour, génère la vie, tout comme l’espoir engendre le désespoir et vice versa .C’est cette image que nous renvoie, semble-t-il, le désastre d’Al Haouz, où le destin a frappé cruellement, en révélant, en même temps, qu’il portait déjà, en lui-même, les germes de l’espoir de la naissance d’un nouveau monde, d’un monde meilleur que celui qui n’est plus là, celui qui a disparu à jamais.
C’est ce que semble se confirmer avec le témoignage hallucinant et poignant d’une jeune femme qui, d’une voix vociférante où se mêlent colère et indignation, a dit: « c’est seulement après le tremblement de terre que nous avons découvert le monde, la vie et les biens faits de ce monde». Elle voulait certainement dire qu’avant le séisme, les gens n’avaient rien et ils ont presque tout eu après le séisme, presque tout ce dont ils ont été privés depuis toujour.Sans nul doute, les raisons qui animent l’état d’esprit de cette femme trouvent leur explication dans la situation d’ensemble qui prévaut dans ces régions sinistrées: l’isolement, l’enclavement, les changements climatiques, l’indigence et la détresse sociale.
Ainsi, face à l’impact dévastateur du séisme, la réactivité différenciée des services de l’État, l’élan de solidarité dont nos compatriotes ont fait preuve, l’empathie planétaire exprimée en soutien au Maroc, ont été autant d’éléments qui expliquent et décryptent cette résilience, tant évoquée par ceux qui ont analysé et suivi la réaction instinctive du peuple marocain dont sa nation a le secret.
*Universitaire et ancien cadre supérieur au Ministère de l’Intérieur