UNE PETITE HISTOIRE DE MORALITÉ

Nous sommes en 1861, suite à l’élection d’Abraham Lincoln seizième président des Etats-Unis d’Amérique et abolitionniste de son (ses ?) état(s), la confrontation du Nord industriel et financier aux États confédérés du Sud agraires et esclavagistes est engagée.

Dans les faits, ce fut plus une question d’hégémonie d’un modèle économique des États Yankee qu’une affaire de droits humains, le système ségrégationniste qui suivit vint par ailleurs le confirmer.

Bref, quatre années moins trois jours plus tard, les méchants planteurs de cotons du Sud perdirent la guerre et le treizième amendement concernant l’émancipation et l’abolition fut promulgué promptement.

Arithmétique oblige, le quatorzième amendement vint le compléter en stipulant entre autres qu’aucun État ne peut priver une personne de sa vie, de sa liberté ou de ses biens sans garanties légales suffisants: « without dur process of law ».

Mis à part les droits des anciens esclaves, qui eurent encore de pas beaux jours devant eux au pays de l’oncle Sam, cet amendement profita essentiellement au business, le capitalisme étant passé par là.

Effectivement, contrairement au droit romain, la législation anglo-saxonne étant plus sujette à la jurisprudence et aux interprétations, la notion de personne dans l’amendement number quatorze n’y fit pas exception.

Le monde du business s’engouffra dans la brèche de ces nouveaux acquis juridiques, puisqu’au fur et à mesure de différents procès, les tribunaux américains ont étendu certaines protections constitutionnelles dudit amendement aux sociétés.

Un intérêt évident pour les milieux des affaires, qui a permis aux entreprises de se positionner comme des « personnes », faisant ainsi valoir les protections juridiques y afférentes.

Par la suite, d’autres pays emboîtèrent le pas à l’instar du pays des lumières où la convention instituant l’association en 1901 vint établir ladite notion juridique.

De nos jours, une acception neutre de la « personne morale » est « l’aptitude d’un groupement de personnes ou d’un ensemble de biens à être sujet de droit ».

Grosso modo, une entreprise agit plus ou moins comme une personne physique (vous et moi), avec pratiquement les mêmes droits et obligations.

Des actions qui de nos jours paraissent anodines et allant de soi, ce qui n’était pas le cas il y a un siècle et quelques, sont donc historiquement le fruit d’un détournement d’une loi pour les droits humains…

Cette (assez ancienne) nouveauté fit quand même naître une controverse juridique qui dura quelques décennies. « Je n’ai jamais déjeuné avec une personne morale. », dixit Gaston Jèze.

Ce dernier était l’une des figures de la thèse de la fiction, en vogue durant la première moitié du siècle dernier, contre la thèse de la réalité qui finit globalement par l’emporter.

Bref, on peut dire que l’histoire de cette notion de personne morale, qui est l’un des fondements du système économique actuel, est issue d’un procédé relativement amoral… mais puisqu’il y a toujours le terme moral…