Le 28 juin 1992, Mohamed Boudiaf, l’éphémère président algérien de l’époque, a été assassiné lors d’une conférence qu’il animait à Annaba (l’ancienne Bône). Le défunt président n’a même pas eu le droit de terminer sa phrase: «Les autres pays nous ont devancés par la science et la technologie. L’islam… ». C’était le dernier mot qu’on lui a permis de prononcer avant d’être obligé de se taire subitement, définitivement et pour toujours. Selon plusieurs récits, son corps a été entièrement criblé de balles tirées à bout portant par un homme en uniforme.
Aujourd’hui, soit presque 28 ans après ce crime odieux, le mystère reste entier. Les multiples et légitimes questions sur les circonstances, les tenants et aboutissants et le mobile du crime restent sans réponse. Une bonne partie du peuple algérien se demande toujours qui a armé l’assassin. S’agit-il d’un acte isolé commis par un élément des services algériens de la sécurité proche de la mouvance islamiste ou s’agit-il d’un vaste complot bien planifié par un commanditaire agissant dans les coulisses et loin des regards?
Tout a commencé au début de l’année 1992. En effet, en pleine déroute politique suite à des victoires électorales écrasantes du Front Islamique du Salut ( FIS) lors des élections locales de juin 1990 et des élections législatives organisées en décembre 1991, le pouvoir algérien rappela Mohamed Boudiaf de son exil au Maroc. Habitué aux bienfaits de la léthargie politique et à une situation confortable créée par l’hégémonie d’un seul acteur politique, le pouvoir algérien ne pouvait tolérer un tel cas de figure. Il ne pouvait imaginer que le FLN soit balayé et écarté du pouvoir, même démocratiquement et pour une brève période.
S’appuyant sur la seule légitimité historique, le FLN s’est arrogé le droit de gouverner seul, sans partage et sans une vraie opposition tout en cherchant à se servir d’une vitrine civile préfabriquée et des pantins et ce, depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962. Fortement secoué par les deux larges victoires électorales et la chute libre du FLN, l’armée a vite réagi. Le président Chadli Benjedid a été écarté et mis sur la touche. Mohamed Boudiaf a été rappelé pour assumer de facto les fonctions de chef d’Etat. Le pouvoir algérien aurait trouvé la solution idéale et l’homme providentiel capable de sauver le pays en lui permettant de traverser cette période de haute turbulence et d’incertitude, sans le moindre dégât pour le régime.
Le choix porté sur Mohamed Boudiaf n’était ni fortuit ni un pur fruit du hasard. Le président défunt fut un farouche militant de l’indépendance de l’Algérie et un des leaders de la lutte contre l’occupation française. Il faisait partie du groupe restreint des chefs du FLN arrêtés par les autorités coloniales en 1956. Il a été relaxé en mars 1962, soit quelques mois seulement avant que l’Algérie recouvre sa souveraineté et s’extirpe du joug colonial après une occupation française qui a duré presque 132 ans. C’était un farouche militant de l’indépendance et un partisan acharné d’un régime réellement démocratique en Algérie. C’est pour cette raison que Boudiaf a été arrêté au début de l’indépendance avant d’être libéré.
Evincé par le régime algérien, il s’est exilé au Maroc après un séjour en France. Lors de ses premières sorties médiatiques en tant que président d’Algérie, Boudiaf a réitéré à maintes reprises son rêve et ses ambitions pour l’émergence d’un pays démocratique, pluriel, mieux géré et complètement débarrassé de la corruption et des intérêts occultes. Ce faisant, Boudiaf aurait pris le risque d’aller au-delà des lignes rouges tracées par les piliers du régime algérien dont notamment les miliaires et les services de renseignements. Le résultat est connu et le bilan était lourd pour le peuple algérien ; une décennie noire marquée par une atroce guerre civile qui a fait entre 150.000 et 200.000 victimes.
Aujourd’hui et 28 ans après l’assassinat de Boudiaf, il n’y a qu’une seule vérité: une tombe où on a enterré, à jamais, des secrets à côté de la dépouille mortelle du défunt président, Mohamed Boudiaf. Le peuple algérien attend toujours que la vérité soit dite et qu’on arrive à identifier tous les maillons de la chaîne de complicité, et à dévoiler l’identité des vrais commanditaires et non seulement celle de la personne qui a été chargée d’exécuter ce crime atroce et d’une cruauté dépassant toutes les limites de la barbarie. Peut-on être en droit de rêver et d’espérer qu’un jour la vérité soit enfin connue. C’est très peu probable dans un régime opaque qui a fait de l’Algérie un pays de paradoxes. Aucun travail de mémoire ne sera toléré et par conséquent, le peuple algérien ne saura jamais ce qui s’est réellement passé le 29 juin 1992.