Par Khadija BOUTNI
Le film de Mostapha Derkaoui « De quelques événements sans signification » réalisé en 1974 vient d’être projeté à Rabat.
Le film raconte les tribulations d’une équipe d’artistes voulant réaliser un film sur l’utilité du cinéma; en pleine préparation, un événement vient de se produire …
Si le titre du film « De quelques événements sans signification » suggère qu’il n’y a point de significations sur ce qui allait être projeté, le spectateur trouvera sûrement une signification à travers les séquences du film montrant la présence remarquable des jeunes, le choix de la musique, les idées du temps révolu, les coiffures anticonformistes, la présence de la femme dans un milieu masculin par excellence, tout cela a sens et une signification historique, philosophique et sociale, qui évoque les doux souvenirs de l’émergence des valeurs avant-gardistes dans un contexte de lutte de toute une génération pour une vie meilleure.
Ce film qui se positionne entre la fiction et le documentaire voulant raconter une histoire sur les conséquences du chômage durant les années 70, a lui-même une histoire impressionnante.
Tout d’abord le film réalisé en 1974 a été interdit pendant 25 ans jusqu’au début des années 90.
Ensuite, les originaux du film ont été perdus parce que le laboratoire se trouvant à Barcelone où le film avait été mixé, a fait faillite.
Et comme dans les légendes, le cinéphile Mostapha Dziri – qui a joué et a beaucoup soutenu le film – détenait une copie qui a pu sauver ce patrimoine et permettre à Mme Léa Morin la directrice de la Cinémathèque de Tanger la restauration du film en 2019.
Ce film réalisé avec les moyens de bord et dans des conditions difficiles est toujours valable parce qu’il pose une question pertinente: « Quel cinéma veut le public ? ».
Question qui se pose jusqu’à nos jours. Aussi sa projection permet aux jeunes cinéastes de mesurer le chemin que le cinéma marocain a parcouru, ainsi il donne une idée sur les rêves de la jeunesse d’autrefois, ses aspirations, ses préoccupations et ses implications dans ce qui se passe au pays.
Aussi le film donne une idée sur Casablanca, connue historiquement par son port, cette ville bruyante, sale, où les moyens de transport sont restreints ou inexistants, englobait dans le temps 54 salles de cinéma !
Le film auquel beaucoup d’artistes peintres, journalistes, musiciens, écrivains, cinéphiles ont participé et dont beaucoup parmi eux ont disparu comme Khalid Jamai, Fattah Shimi, Mohamed Jabrane … présente un patrimoine collectif qu’il faut préserver contre l’oubli.
Si le film -fait par les frères Derkaoui revenant de Lodz en ces temps marqués par une grande effervescence d’idées -est considéré par certains comme une expérience dubitative où la trame est décousue, le son est inaudible, d’autres le considèrent comme étant un film de recherches étant donné qu’il n’y avait pas de film à cette époque.
La soirée était émouvante en présence du réalisateur Mostapha Derkaoui qui est venu malgré ses conditions de santé pour répondre aux questions des spectateurs en se rappelant que son professeur l’a mis en garde de s’obstiner à raconter toutes les choses « en grands plans ».
Concernant son nouveau projet qui vient de bénéficier du soutien du CCM, le cinéaste confie modestement: « Le prochain film va se faire par un débutant, j’ai eu le temps de tout oublier ».