Nous avons appris avec une profonde affliction le décès hier vendredi 8 avril du pilote de chasse le Colonel Hassan El Mardi, des suites d’une crise cardiaque.
Connu et reconnu pour son intrépidité, le défunt s’est évadé du goulag de Tindouf où il a été emprisonné après que son avion de chasse F5 fut abattu par un missile Sam 7.
Sur les faits d’armes de ce valeureux pilote de chasse, le capitaine Ali Najab avait livré un témoignage émouvant dans son livre « 25 ans dans les geôles de Tindouf ». LeCollimateur a contacté M. Najab qui a eu l’amabilité de nous autoriser à reproduire cet extrait édifiant sur le parcours atypique du vaillant Hassan El Mardi.
UNE VRAIE EPOPEE:
L’évasion d’un Pilote de chasse intrépide: Hassan El Mardi
Il s’appelle Hassa El Mardi. Il porte bien son nom et vous allez découvrir à travers son histoire pourquoi.
Je l’avais eu sous mes ordres à Meknès dans l’escadrille de perfectionnement de pilotes opérationnels où il avait évolué avec enthousiasme, trait de caractère connu chez les pilotes de chasse de notre armée de l’air.
El Mardi fut muté au Sahara pendant la guerre qui faisait rage. Quand il fut abattu, il pilotait un F-5 (chasseur –Bombardier) un avion performant, puissant et très maniable. El Mardi était, à l’instar de beaucoup de nos pilotes de chasse, sorti de l’école de chasse française. Les autres de l’école de chasse américaine. Mais tous étaient au standard international.
En 1980, la guerre faisait rage à Ras el Khanfra au début de la construction du mur de défense au nord de la ville de Smara. Le polisario qui était, de tout temps doté par l’Algérie et la Libye, d’un armement sophistiqué, disposait déjà depuis 1976 du missile anti-aérien SAM-7 à guidage infrarouge, un missile d’autant redoutable. Ce fut dans ces conditions qu’El Mardi fut abattu comme le furent plusieurs autres pilotes avant et après lui.
Vers la fin des années 80, nous étions encore ensemble dans le même centre près de Rabouni à Tindouf. Il me surprit un matin en me disant: « mon capitaine, je vais partir… ». Je lui coupai la parole et d’un air sérieux: « partir où…. ? ». Il me coupa la parole à son tour et me dit avec son sourire habituel: « Partir au Maroc rejoindre ma patrie et les miens….avez-vous quelque chose à dire à votre famille ? ». Je le regardai en écarquillant les yeux pour marquer mon étonnement et lui demandai: « Comment vas-tu procéder ? ». A ce moment là, le chef de poste se pointa à la porte pour annoncer la dernière sortie avant le coucher du soleil. Avant de revenir au centre, nous nous retrouvâmes El Mardi et moi sur la crête qui dominait le centre. Là il me fit part de deux plans. Comme il travaillait au Hilal (siège du croissant rouge du polisario) où les prisonniers marocains déchargeaient des semi-remorques et des camions qui ramenaient des tonnes et des tonnes de produits alimentaires destinées aux populations civiles des camps. La première solution consistait selon lui à sauter dans un camion en se cachant sous une bâche. Une fois loin de Tindouf, sur la route vers Bechar, il choisirait le moment opportun pour sauter du camion et continuer à pied en prenant la direction nord. Je n’eu pas de peine à l’en dissuader parce que c’était tout simplement suicidaire. En effet l’appel juste après le retour au centre allait faire éclater l’affaire et l’alerte allait être donnée immédiatement partout pour fouiller tous les véhicules sortant de Tindouf et plus particulièrement ceux allant vers Bechar. Donc cette solution fut tout de suite écartée.
La deuxième solution était plus judicieuse quoique difficile. Il m’avoua qu’il était capable de franchir la distance qui séparait le mur de défense marocain du coté de Mahbas du centre des prisonniers de Rabouni, en une nuit et en petites foulées en plus. « tu en es capable ? », lui dis-je.
« Oui, je pense m’entrainer physiquement toutes les nuits… ». Il m’expliqua que pour s’orienter, il savait se servir des étoiles. Je savais qu’il était physiquement très robuste, certainement le plus robuste des officiers et des pilotes réunis. Il était originaire des Ait Youssi du Moyen Atlas, des amazigh purs et durs.
Au cours de notre discussion sur la crête, nous avions convenu que la meilleure solution était, dès la sortie du centre, de rejoindre la crête au nord en face, de l’allonger jusqu’à être près de Tindouf ensuite je prendrai la direction plein Ouest. Notre discussion s’arrêta là.
Plus tard, j’eus la chance d’avoir entre les mains, un livre qui avait à la dernière page une petite carte qu’un soldat prisonnier m’avait remis. Je l’appelai ; ensemble nous mesurâmes l’échelle aidant, la distance Rabouni- Mahbas. Si mes souvenirs sont bons, il y avait 96 km. Comme le mur de défense se trouvait à 30 km de Mahbas, Il lui restait 70 km à parcourir en une nuit: à peu près 13 heures. La moyenne de 6 km/h était donc à sa portée..
En vérité la préparation physique avait commencé bien avant avec la visite de Omar Hadrami lorsqu’un jour il nous rendit visite en 1986 au centre dit Hamdi Ba Cheikh. Nous profitâmes de sa visite pour lui demander l’autorisation de faire du sport. Il nous procura un filet pour faire du volleyball, des ballons pour faire du foot. Nous commençâmes par faire du footing en groupe. Probablement certains planifiaient chacun dans sa petite tète de s’évader mais personne n’en parlait. Au fil du temps beaucoup se découragèrent et seuls El Mardi et le lieutenant Astati avaient persévéré à faire du sport.
Juste une année après (1987) Lt. Astati s’évada. Il quitta le centre juste après l’appel du soir profitant d’un moment d’inattention de la part du chef de poste et prit le large. Il fut rattrapé le lendemain et ramené au centre.
Pour nous punir et nous humilier, le polisario nous fit ramper en slip devant les soldats. Le sport fut interdit. Nous fumes transférés dans une autre enceinte sous des coupoles construites par les soldats spécialement pour nous. C’est là que El Mardi reprit son entraînement… il raconte:
« J’habitais la coupe n°8 avec Lt Rahmouni et Lt. Bakouchi. Après l’extinction des feux, je passais derrière la coupole et commençais à m’entrainer en sautillant à la corde sur place. Cela avait duré une année.
Le capitaine Lyoussi désigné comme homme de confiance par le polisario, était venu me voir et quel fut mon étonnement lorsqu’il me somma d’arrêter de m’entraîner. J’arrêtai 15 jours, puis je repris à faire de la corde mais pieds nus avec chaussettes pour ne pas faire de bruit. Des séances de 2 heures parfois une seule car il fallait que je me repose pour aller travailler à Alhilal (sorte de croissant rouge du polisario où nous devions avec un groupe de 15 prisonniers décharger 15 semi-remorques de denrées alimentaires destinées aux populations civiles des camps. Le capitaine Lyoussi était revenu, certainement après un examen de conscience, pour me dire qu’il fermait les yeux et donc je pouvais m’entrainer sans crainte.
La nuit pendant que je contemplais les étoiles, je sentais que j’avais besoin de quelqu’un pour m’encourager. Mais je n’avais pas trouvé mieux que moi-même. Je me disais: si des soldats ont pu s’évader et le faire avec succès, pourquoi ne le ferais-je pas moi aussi. Le besoin de revoir mes enfants, ma famille, ma liberté et mon pays ont beaucoup joué dans ma préparation morale ».
Les appels de 6 heures du soir suivis de celui de minuit et celui de 6 heures le lendemain matin, ne lui laissaient aucune chance. Sortir après minuit était un suicide pour lui car 6 heures de marche ne l’amenait pas très loin. Il pensa à une astuce dont il m’en avait parlé si mes souvenirs sont exacts, qui consistait à demander à un soldat de venir prendre sa place au moment de l’appel. En effet c’était fort faisable. Notre quartier était adjacent à celui des soldats: un simple mur facilement franchissable les séparait. El Mardi se mit d’accord avec un soldat nommé Rabei de se frayer un passage au coin non éclairé du mur séparant les deux quartiers. Il lui avait fourni une djellaba pour la porter et de se mettre au milieu des rangs au moment de l’appel. Dès que le chef de poste aurait fermé la porte, Rabei devait revenir rapidement dans l’autre quartier pour assister à l’appel des soldats. Cette solution que je trouvai astucieuse aurait permis à El Mardi de sortir dès la tombée de la nuit gagnant ainsi au moins 5 précieuses heures. Malheureusement cette solution fut abandonnée pour des raisons que j’ignore…
Durant un mois précédant son départ, il dormait dans la cours en signe de désaccord avec ses camarades de chambre mais en réalité c’est dans un but de leur éviter des ennuis. El Mardi avait donc attendu quelques jours durant lesquels il déversait du sable à l’endroit même où il devait sauter pour atténuer le choc et pour ne pas faire de bruit.
Il y eut une pénurie de carburant dans le centre. Ils étaient obligés d’éteindre le groupe électrogène plus tôt que prévu. L’appel de minuit fut donc supprimé et ramené à 22 heures. Il fallait résoudre aussi le problème de la sortie. La veille de son départ, El Mardi faisait semblant de réparer quelque chose sur le mur, mais en réalité il débrancha le fil d’alimentation du projecteur au coin d’où il allait sortir. Surgit un autre problème qu’il fallait résoudre: il y avait une chienne qui toute la nuit aboyait derrière tout individu autour du centre. Il profita des nuits qu’il passait dans la cour pour se familiariser avec la position des étoiles (changement de la direction du chariot, la position de l’étoile polaire).
El Mardi alla trouver deux jours avant les soldats chargés du lavage des vêtements de la garde pour leur demander d’attacher la chienne sous prétexte qu’elle empêchait les officiers de dormir. Ce fut fait et la chienne était toujours attachée la nuit.
Le 19 juin au soir après l’appel qui ce soir là fut à 21 heures 30, et après l’extinction des feux…
El Mardi raconte:
« Je fis semblant d’aller me coucher à ma place habituelle. Je mis un short puis un pantalon dessus et une chemise le tout de couleur kaki. Je sortis en passant par-dessus le mur. Je pris appui sur une feuille de zinc en prenant soin de ne pas faire de bruit. Avant de lâcher, je fus devant un dilemme: je lâche ou je ne lâche pas ? car lâcher cela voulait dire un point de non retour !!! Finalement je lâchai.
Dès que mes pieds touchèrent le tas de sable que j’avais préparé, je devais franchir un autre mur mais moins élevé. Je contournai le mur. Je pris la direction nord. Dès que j’avais atteint la crête, choisie pour son terrain caillouteux pour ne pas laisser de traces des pieds, je jetai un coup d’œil derrière moi pour m’assurer que les feux étaient tous éteints. J’eu un moment d’hésitation sur ma position exacte. Mais je repérai immédiatement par rapport à Tindouf dont je pouvais voir les lumières au loin. J’enlevai le pantalon, l’enroulai autour de mon bras et je me mis à courir en petites foulées, en short et espadrilles. Dès que je fus non loin de Tindouf, je pris carrément la direction Ouest laissant l’étoile polaire sur ma droite. Je maintenais ma course en petites foulées tout en assurant que j’étais bien sur route grâce à l’étoile polaire. Sur mon trajet j’avais franchi deux ceintures mais sans présence humaine. Quel soulagement ! Il faisait toujours nuit noire. J’eu peur lorsque je m’étais trouvé face à face des silhouettes que je croyais être des véhicules. Heureusement ce n’était que des acacias. Soudain, je commençai à sentir de la fatigue. Je devais être à mi-chemin. Il faisait très froid et mes mains étaient presque gelées. L’expérience du Lt. Astati me revint à l’esprit. Ce qui me redonna courage. Je me remis à courir en petites foulées mais ma vitesse avait chuté. Tantôt je trottais tantôt je marchais. Tout à coup je passai devant deux petites maisonnettes et marchai sur quelque chose comme un câble électrique. Je m’arrêtai une seconde. Je ne vis personne. Je repris immédiatement la cadence en petites foulées. J’aurais menti si j’avais dit que j’avais quoi que ce soit en tète à ce moment-là en dehors d’échapper au polisario et d’atteindre le mur de défense marocain le plus tôt possible. Donc je n’avais pas d’autres choix que de courir.
Soudain ce fut le jour ! Je remis le pantalon pour un meilleur camouflage. A ce moment j’eus tellement peur que je me mis à courir de toutes mes forces. Il m’arrivait d’être envahi par moment par un sentiment de désespoir que j’arrivais néanmoins à surmonter en m’imaginant déjà avec ma famille. Le soleil n’était pas encore dans le ciel. Soudain je vis un remblai à un ou deux kilomètres devant moi. Je compris alors que c’était la ceinture de Mahbas. J’étais donc en territoire marocain. Je fus envahi d’un sentiment de soulagement parce que je venais d’échapper au polisario. Je courrais encore plus vite de joie. J’étais à peu près à 800 mètres. J’enlevai ma chemise et commençai à faire des signaux. Quelqu’un monta sur le remblai et me sommait de m’arrêter. Puis il commença à me jeter des cailloux pour m’indiquer le chemin afin d’éviter les mines. Une fois arrivé devant lui, je me présentai. L’homme que j’avais en face de moi, un sergent, braquait toujours son kalachnikov sur moi. Dès que je m’étais présenté, il enleva son chargeur et m’enlaça dans ses bras. Je lui demandai l’heure: il était huit heure !! ».
Hassan El Mardi venait de franchir une distance de près de 86 à 90 km (mesurée sur la petite carte) en 12 heures avec une moyenne de 7km/h. Ce qui était une performance d’un grand athlète !
Il réintégra l’armée de l’air avec le grade de sous-lieutenant. Il continua à servir dans l’armée de l’air comme pilote instructeur sur Alpha-jet. Il eut un avancement normal et fut mis à la retraite avec le grade de Colonel. Il quitta l’armée de l’air suite à des problèmes cardiaques….