OUJDA. LE RAS-LE-BOL D’UN MRE CONTRE L’ADMINISTRATION COMMUNALE

J’habite à l’étranger. Vivant dispersés entre le Maroc et l’étranger, mes cohéritiers d’une maison parentale à Oujda, m’ont désigné pour les représenter auprès de l’administration communale d’Oujda pour obtenir l’autorisation de faire entreprendre les travaux de ravalement de sa façade. Enthousiasmé par l’élan démocratique que prit notre pays et les effets bénéfiques qu’il est censé produire sur les services administratifs communaux de la ville, je pensais que deux mois seraient suffisants pour accomplir cette mission. Par conséquent, je mis tous mes projets personnels en veille pour m’atteler à cette tâche. Mes démarches commencèrent vers le 7 septembre 2021. Dès le premier contact avec l’administration communale, un accro surgit. On me dit sur tous les temps et à tous les échelons de la hiérarchie administrative, que les services concernés ne reçoivent plus les demandes d’autorisation de réfection que par internet, autrement dit en passant par la plateforme « rokhas.ma ». J’eus beau leur expliquer qu’aucune loi ne m’oblige à posséder, ni à savoir utiliser un ordinateur et que le décret réglementant l’obtention de l’autorisation de réfection stipule expressément le dépôt, contre récépissé, du dossier de la demande auprès du bureau d’ordre de la commune ou du guichet unique d’urbanisme. Rien n’y fit. Le préposé au bureau d’ordre me renvoya désespérément à deux reprises.

Ce que je trouve parfaitement aberrant c’est que dès le premier abord, les préposés au service d’urbanisme dirigent illico presto le citoyen vers l’un des cybers qui pullulent autour de leur administration, ce qui est indéniablement contraire à l’esprit et à la lettre des lois et règlements qui régissent le domaine de l’urbanisme, ceux qui garantissent la liberté individuelle du citoyen et ceux visant à rapprocher l’administration du citoyen et la simplification des procédures administratives.

Armé des disposions légales, je me prenais pour un David contre un Goliath. Malheureusement, cette fois-ci Goliath battit David à plate couture. En effet, je dus courber l’échine, ranger les dispositions du décret n° 2 18 577 publié au bulletin officiel n°6874 du 22 chaabane 1441 (16-4-2020), comme outils non utilisables et sans valeur aucune face à la volonté d’une certaine catégorie d’agents de l’administration communale d’Oujda. Que l’on juge! En matière de demande d’autorisation de réfection d’un immeuble existant, le décret susmentionné stipule dans son chapitre II intitulé  « Du permis de réfection relatif aux bâtiments existants » : « Le dépôt de la demande du permis de réfection relatif aux bâtiments existants s’effectue auprès du bureau d’ordre de la commune, contre accusé de réception numéroté et daté. L’accusé de réception vaut attestation de recevabilité du dossier. (…) En cas d’existence d’un guichet unique des autorisations d’urbanisme, le dépôt des dossiers s’effectue conformément aux modalités fixées par le présent article, au bureau d’ordre dudit guichet ».

Quand j’exhibais le texte de ce décret, on me répondait qu’il est dépassé et que je suis en retard dans mes informations, même si ledit décret ne date que du 12 juin 2019 et ne fut publié au bulletin officiel que le 16 avril 2020. Et lorsque je m’enhardis à demander les référence du texte dont ils se prévalaient, j’eus droit à deux réponses : la première, que je juge la plus aberrante et la plus extravagante, c’était que je devrais présenter une demande écrite et la déposer auprès du bureau d’ordre de la municipalité d’Oujda. La deuxième, ce fut de demander l’aide de Google en tapant les mots clés « Règlement général de construction ». Ce qui je fis et oh ! quelle surprise, je tombe sur le décret que je cite plus haut et il n’y a nulle race d’obligation au citoyen de recourir à la plate forme rokhas.ma pour demander une autorisation de réfection d’un bâtiment existant. Bien plus serait-il imaginable que le même texte réglementaire puisse stipuler deux dispositions contradictoires : celle détaillant la procédure de dépôt de la demande auprès du bureau d’ordre et celle obligeant le citoyen à passer par la fameuse plateforme numérique qui d’ailleurs soit dit subsidiairement, d’une part, ne fonctionne correctement que rarement et, d’autre part, il faudrait avoir été formé à l’effet de l’utiliser, autrement on s’y perdrait totalement.

Qu’à cela ne tienne et comme dit l’adage populaire « que peut le mort contre son laveur? » Je me suis résigné, je me suis assis sur mon principe d’exiger mes droits selon les lois du pays et grâce à l’aide d’un fonctionnaire dudit guichet unique d’urbanisme, j’ai pu accéder à la plateforme et constituer laborieusement mon dossier. Il fallut en effet d’abord constituer le dossier sur le support papier avec la signature légalisée du formulaire de la demande, ensuite le scanner pièce par pièce pour enfin les télécharger dans la plateforme. Ce que je réussis à faire même si je dus emprunter un ordinateur à l’un de mes proches, me servir de mon téléphone comme scanner et m’essayer à de nombreuses reprises tellement l’utilisation de ladite plateforme est compliquée. Ah ! Quel soulagement ! et, sans exagérer aucunement, je dirais quelle joie m’envahît, quand je constatai que ma demande fut mise sur les rails, même si je dus galérer pendant deux semaines pour comprendre les rouages insondables de cette plateforme.

Malheureusement mon contentement fut éphémère. Mon dossier fut considéré incomplet. Il fallut le compléter par une déclaration d’occupation de l’espace public, avec ma signature légalisée. Je m’étais démené pour satisfaire à cette dernière exigence, même si la loi n° 55-19 relative à la simplification des procédures administratives a supprimé cette formalité et bien d’autres. J’avoue que la peur de voir mon dossier rejeté pour un autre motif ne m’avait pas quitté pour autant.

Et rebelote, mon dossier est encore une fois rejeté. Cette fois pour le motif que ladite déclaration devait comprendre au minimum dix mètres carrés. Ce qui n’était signalé nulle part. Et je satisfis encore à cette condition imprévisible. Quand mon dossier fut déclaré complet et acceptable, il fallut qu’une visite des murs à ravaler ait lieu. La plateforme « rokhas.ma » fixe le délai d’un jour pour que cette visite se fasse. J’ai attendu quatre jours sans que je reçoive le moindre signe de la commission chargée d’effectuer cette visite. Je voyais le temps passer et mon inquiétude grandissait. Le doute s’insinua dans mon esprit et je me rendis au service concerné. Les préposés m’informèrent que la voiture de service était en panne et qu’ils ne pouvaient reprendre les visites dans de brefs délais. Je leur fis la proposition de mettre ma propre voiture à leur disposition, mais poliment ils déclinèrent mon offre pour des raisons de sécurité qui exigerait, me dirent-ils, qu’ils ne puissent se déplacer que dans une voiture de leur service.

Face à mon obstination et surtout à l’abattement psychique dont les signes se remarquaient sur mon visage, ils me suggérèrent de voir avec le directeur, mais ils ajoutèrent qu’il fallait l’attendre car il n’était pas encore arrivé. Il était environ dix heures quand je rejoignis deux hommes et une femme qui l’attendaient avant moi. Pour passer le temps nous nous racontâmes, dans le détail, nos aventures respectives pour obtenir le précieux sésame qui nous délivrerait du châtiment moral que nous subissions. A midi, aucune information précise n’a pu nous être donnée quant à l’éventualité de la venue de M. le directeur. Las d’attendre, nous décidâmes désespérément de quitter les lieux. Mon amertume que j’accumulais déjà depuis des semaines augmenta de plusieurs crans. Je maudis le sort qui me mit en rapport avec cette administration. Dès que je repris mon calme, je m’avisai de recourir à l’aide de mon bienfaiteur qui m’avait initié à l’usage de la plateforme. Encore une fois grâce à lui je fus sorti d’embarras. Je ne sus comment cela se fut arrangé, toujours est-il, ils visitèrent la maison un samedi en fin de matinée et me garantirent que mon dossier allait être présenté, sans faute le lundi matin à la signature du directeur et que désormais le sort de ma demande ne dépendrait plus que de sa griffe magique . Enfin un week-end qui s’annonçait sous le signe d’un repos physique et spirituel bien mérité.

Le lundi matin je me présentais à son bureau. Sur un ton compréhensif et surtout avec une volonté qu’il voulait toute respectueuse de la loi, il m’assura que la signature relevait de la compétence d’un élu et qu’en ce moment, en raison des récentes élections, les choses au conseil municipal n’étaient pas encore clarifiées et qu’il fallait attendre au moins jusqu’à jeudi. Ce qu’il omit de me préciser c’est qu’avant cette ultime signature, il fallait que le dossier soit validé par lui.

Le jeudi venu, je rejoignis une cohorte d’au moins une dizaine de personnes dans la même situation de détresse administrative que moi qui attendait dans le couloir à la porte de son bureau. Moi j’attendis de dix-heures trente minutes jusqu’à treize heures. Fatigué, à mon âge (69 ans), je ne pus faire mieux. Mes compagnons d’infortune durent faire preuve de plus de résistance. A quinze heures j’y retournai, il n’y était pas venu. Quelques uns de ses collègues m’assurèrent qu’il était trop tard pour qu’il y ait la moindre chance qu’il réintègre son bureau. Et je rentrai chez moi les nerfs en boule. Et, encore une fois, je maudissais le sort qui me choisit pour cette galère. Je m’étonnais de ce que le fameux principe de la continuité de l’administration était lamentablement bafoué, qu’elle soit confondue avec un responsable, qui n’était non seulement pas suppléé, mais, pire encore, que personne ne savait s’il allait ou pas venir. L’incertitude, l’ambiguïté totales! Le temps du citoyen, son moral et sa dignité comptent pour rien auprès de ce responsable qui me disait – quand j’eus l’immense chance de le trouver dans son bureau– qu’il était à cheval sur l’application de la loi et qu’il tenait à ce que le citoyen ne quitte son bureau que convaincu que la loi s’appliquait tout autant dans son esprit que dans sa lettre.

Le lendemain, vendredi, à l’instar d’un planton je me présentai à la porte de son bureau qui était, bien évidemment et en toute logique de sa manière de conduire les affaires des pauvres citoyens que nous sommes, fermée à clé. Je retrouvai la plus part des têtes que j’avais quittées la veille. Nous nous saluâmes en vieilles connaissances tellement le temps passé ensemble nous avait donné l’occasion de sonder mutuellement nos âmes et nos cœurs. Après environ une heure d’attente, le plus hardi d’entre nous approcha aimablement l’un des fonctionnaires qui, avec affabilité, accepta de voir ce qui clochait dans nos dossier respectifs. Il nous accompagna au bureau des agents où se déroule le traitement des demandes. Et c’est ainsi que nous découvrîmes que nos dossiers leur furent retournés et donc le processus administratif était rétrogradé d’une étape, pour défaut de photos des bâtiments proposées à la réfection. Il s’en disculpèrent en arguant que cette opération ne se faisait pas avant, n’était pas légale et en plus leur bureau n’était pas équipé en matériel adéquat pour satisfaire à cette condition qu’ils trouvaient farfelue. En dindons de la farce, nous ne savions quoi dire ni à quoi nous en tenir.

A force de courir après cette autorisation, dont l’obtention nous paraissait exiger la patience du prophète Ayoub, nous avions perdu la notion de droit, ou plutôt nous avions renoncé au droit, à notre droit. Nous nous contentions juste de trouver le moyen, fut-il au dépens de notre dignité de citoyen et au prix de notre rabaissement au statut de quémandeur, de nous sortir de ce guêpier administratif. Dans le brouhaha, l’effarement des uns et même l’indignation des autres, les deux agents chargés du traitement des dossiers acceptèrent de faire l’effort de télécharger les photos qu’ils ont prises lors de leur visite des lieux. Entre temps M. le directeur était arrivé. Il ne nous restait plus qu’à le supplier pour que nos dossiers passent à l’étape de la validation. C’est ce que nous fîmes chacun notre tour. Je reçus la promesse que mon dossier sera validé et même que je fus conseillé d’aller le lundi matin payer les frais de cette autorisation mémorable par les affres qu’elle m’a occasionnées malgré la simplicité que la loi promet à son demandeur. Mais le parcours du combattant n’était pas fini avec la validation et le paiement des frais. Il fallait attendre encore la signature suprême de l’un des honorables élus que les Oujdis crurent être judicieux de choisir pour leur faciliter la vie dans leur mémorable et millénaire cité.

J’avoue que j’ai développé une phobie de l’administration communale d’Oujda. Je crois que dorénavant j’éviterais même de passer dans la rue où elle s’érige en bâtiment sinistre.

Ce que je déplore énergiquement dans le comportement de certains responsables de cette administration, c’es cette distanciation sociale qu’ils affichent à l’égard du citoyen, où se combinent mépris, ascendance, paternalisme et sentiment de supériorité intellectuelle et sociale, le tout fortement teinté d’une affectation tutélaire. Ils ont développé la pénible obsession d’être les seuls à connaitre, comprendre et interpréter la loi.

Ce qui me parait drôlement regrettable c’est que le prétendu respect de la loi n’est en fait qu’un faire-valoir, un décor que l’on plante dès l’abord. Ce que l’on respecte à vrai dire ce sont des instructions ou même peut être que de simples suggestions, venues d’en haut, sans même avoir eu le devoir ou même tout simplement la curiosité de les confronter à la loi. Cependant, le pourrait-on quand, inconsciemment, on pense que fatalement le supérieur hiérarchique personnifie la loi et que tout le reste n’est qu’accessoire ?