Rentré en Côte d’Ivoire en juin dernier, Laurent Gbagbo a endossé les habits d’un leader panafricain en annonçant la création d’un nouveau mouvement, le Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI).
Sans évoquer le fond ou bien les orientations de ce nouveau mouvement politique aux ambitions panafricaines selon les déclarations, et sans commenter non plus le discours d’une heure de Laurent Gbagbo largement plébiscité par ses partisans, notons simplement que ce dernier revient de loin… de très loin.
Il a été capturé, extradé, poursuivi puis acquitté en première instance et en appel par la Cour pénale internationale (CPI) en plus d’autres déboires judiciaires dans son pays, pour que son retour finisse retardé pour une sombre question de délivrance de passeports selon les versions officielles, le temps de tenir sans lui l’élection présidentielle de 2020.
Un retour pour le moins fracassant largement couvert par les médias, qui abordent la question de son long feuilleton judiciaire international en le qualifiant parfois comme simplement une dizaine d’années d’absence omettant (dans leur majorité) de rappeler au moins sommairement cet période du parcours pour le moins atypique (et c’est un euphémisme) de l’ex-président ivoirien.
Gbagbo est un opposant historique à Félix Houphouët-Boigny, homme politique et député entre autres- dans les institutions de la république française (4ème et 5ème) avant de revêtir le costume de président ivoirien pendant 33 ans jusqu’à son décès en 1993, dont le dernier premier ministre était un certain Alassane Ouattara, actuel président ivoirien en exercice.
Ce dernier avec Laurent Gbagbo étaient les deux acteurs majeurs de ce que l’histoire retiendra comme la crise politique ivoirienne de 2010-2011, avec son lot de violences et d’événements dramatiques et dont la Cour Pénale Internationale a blanchi Gbagbo.
Loin de tout parti pris, l’on ne peut qu’être circonspect face au bilan de l’intervention française, la fameuse opération Licorne, qui fit tomber ce dernier ; et l’on peut légitimement se demander si cela a servi à quelque chose et si c’était justifiable vu que ladite cour, qui excipe elle-même de sa qualité de juridiction de dernier ressort, n’a pas pu prouver la culpabilité du président déchu.
Une déchéance qui débuta suite à une histoire rocambolesque puisqu’il fut débusqué depuis le Bunker présidentiel ; une histoire que raconte -puisqu’il l’a vécue- très bien l’un de ses proches à l’époque, qui reçut une balle à l’épaule lors de ces mêmes événements, Sidiki Bakaba, une figure des arts ivoiriens de l’ère Gbagbo installé en France depuis lors.
Ce n’était pas la première fois que la France faisait dans l’interventionnisme dans cette ex-colonie, les événements dramatiques de novembre 2004, tant pour les locaux que pour les expats français à l’époque, n’en sont qu’un autre désastreux exemple.
La France n’appréciait pas Gbagbo ; et il faut savoir que pendant qu’il était incarcéré en attente de jugement pour « crimes contre l’humanité » -entre autres-, une force française prépositionnée a été installée sur le sol ivoirien.
Fruit d’un accord bilatéral de partenariat de défense datant de 2012, elle fait suite selon le ministère de la défense français aux orientations du livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013, qui définit cette région comme l’une des priorités stratégiques.
Une présence permanente et renforcée qualifiée par la France comme étant une réserve d’intervention en Afrique centrale et de l’ouest, et qui devint effective durant le premier mandat d’Alassane Ouattara, économiste de formation ; et qui avant de participer à la chute de son prédécesseur a occupé plusieurs postes internationaux notamment en tant directeur général adjoint du Fonds Monétaire International.
Un profil que les occidentaux -en l’occurrence les français- ont préféré au turbulent Gbagbo, oubliant sciemment que c’est bien ce dernier qui a facilité le retour de son rival en côte d’Ivoire en 2006 sans qu’on ait eu connaissance d’un quelconque retard de délivrance de passeports.
En somme, les derniers faits de la politique ivoirienne ne sont qu’un épisode d’une longue série, et l’on peut s’attendre à d’autres rebondissements vu le récent projet de l’exécutif ivoirien de limiter l’âge des candidats à 75 ans, éliminant de facto de la course présidentielle tant Alassane Ouattara que Laurent Gbagbo.
« Mon ambition aujourd’hui, c’est de partir, mais pas de vous abandonner car je serai toujours un militant de notre parti, un militant de base. Je n’ai plus besoin de faire de démonstrations. Après ce parcours-là, la sagesse est de se décider à partir, mais pas brusquement ».
Une déclaration qui appelle au moins une remarque: pourquoi créer un mouvement politique quand on a décidé de quitter la politique?
Une chose reste sûre: Gbagbo n’en est pas à une contradiction près.