La page blanche est une expérience lourde de sens. C’est un gouffre, un appel lointain d’une peur primitive et d’une angoisse persistante et répétitive. La rencontre avec la page blanche est considérée comme un obstacle à surmonter au sein de la sphère de l’écriture. Seuls les écrivains savent à quel point cet affrontement avec la page blanche est si rude. Car l’écriture n’est pas facile. C’est un exercice et un travail nécessitant un effort intellectuel sans merci. La page blanche exalte la peur du manque d’inspiration et de ne plus retrouver la muse de l’écriture. L’écrivain est invité constamment à prouver – pour lui en premier lieu et pour les autres – qu’il est toujours le maître absolu de son royaume de l’écriture.
Beaucoup d’écrivains ont cessé d’écrire parfois pendant des années, à cause de cette blancheur qui les a placés devant une réalité si dure et si difficile à admettre comme une une mort atroce de l’écriture. Il est de l’ordre d’une torture quotidienne car l’écrivain est démuni et il n’arrive pas devant la page blanche avec un projet clés en main. C’est un cueilleur de mots, un être exceptionnel qui tisse les mots pour créer un monde onirique.
Dans l’histoire, nous avons beaucoup d’exemples d’écrivains qui ont vécu cette expérience douloureuse notamment Ernest Hemingway. Ce dernier a prodigué une technique pour éviter le syndrome de la page blanche: « La meilleure façon d’écrire, c’est toujours de vous arrêter quand vous arrivez à bien écrire et que vous savez déjà ce qui va se passer ensuite dans votre histoire ».
Ce qui caractérise cette solution, c’est le maintien – de ce qu’on appelle vulgairement – le flow de l’écriture en éveil constant. Derrière cette proposition d’Hemingway se cache la peur d’une panne sèche de l’inspiration. Mais l’auteur de la trilogie « A la croisée des mondes », (Gallimard, 1998, 2000, 2001), Philip Pullman, ne croit pas au mythe de la page blanche car comme il a écrit: « Un écrivain professionnel est quelqu’un qui écrit aussi bien quand il est inspiré et quand il n’est pas inspiré ».
La page blanche est une métaphore et un simulacre qui engage toute une représentation de l’écriture comme un rite de passage. Sans la page blanche, il n’y a pas de début. C’est le socle de la genèse d’un autre monde qui reste inscrit – via la lecture – dans notre mémoire collective.
La page blanche est un don rêvé et miné par la surprise joyeuse. La saga de l’écriture ne peut acquérir ses lettres de noblesses sans affronter l’abîme salvateur du néant. La page blanche, c’est cette terre aride et assoiffée, en attente du premier souffle du mot dans l’espoir de créer des rencontres inattendus au sein de l’écriture.
La page blanche est l’écrin de ce monstre sacré qui est l’inquiétude. Sans cette dernière, toute cette armée de l’ombre qui somnole à l’intérieure de l’écrivain, ne peut affronter avec force et vigueur les colosses ténébreux de la peur d’écrire.
La page blanche est finalement, une simple invitation à écrire.