
Par: Marco BARATTO

Le 31 octobre dernier, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté à une large majorité la résolution renouvelant le mandat de la MINURSO. Le texte, présenté par les États-Unis et soutenu par la France, a obtenu onze voix pour, aucune contre et trois abstentions : celles de la Chine, de la Russie et du Pakistan. Ce vote, plus qu’un simple acte administratif, consacre un tournant diplomatique majeur.
Pour la première fois, la résolution reconnaît explicitement que la proposition d’autonomie présentée par le Maroc en 2007 « pourrait constituer la solution la plus réaliste et praticable » pour mettre fin à un conflit qui dure depuis plus d’un demi-siècle. Ce succès pour Rabat révèle aussi des mouvements profonds au sein de la diplomatie mondiale.
Les abstentions de la Chine et de la Russie, loin d’être de simples réserves, traduisent des stratégies réfléchies et distinctes, marquant un nouvel équilibre dans les rapports de force internationaux. La Chine, fidèle à sa doctrine de non-ingérence et de prudence stratégique, a choisi de s’abstenir tout en réaffirmant son soutien à une solution « juste, durable et mutuellement acceptable ». Ce choix n’est pas une prise de distance, mais un positionnement lucide. Pékin préfère observer, écouter et comprendre avant d’agir. En s’abstenant, elle préserve sa liberté de manœuvre diplomatique en Afrique du Nord, évite de se placer contre un camp et maintient sa crédibilité auprès de tous les acteurs. Ce silence réfléchi illustre la diplomatie du temps long chère à la Chine : elle ne se précipite pas dans les débats, mais prépare le terrain pour être, au moment opportun, un interlocuteur incontournable. Son approche pragmatique, discrète mais constante, lui permet d’affirmer une présence mesurée, en cohérence avec sa vision globale de stabilité et de coopération.
L’abstention russe, quant à elle, revêt un sens plus profond et stratégiquement audacieux. Moscou, longtemps perçue comme proche de la position algérienne, a refusé cette fois d’utiliser son veto, préférant ne pas bloquer le processus. Ce choix, inédit, montre une évolution claire : la Russie ne s’oppose plus à l’approche marocaine, mais ne s’y rallie pas non plus ouvertement. Elle trace sa propre voie, indépendante, équilibrée et patiente. Par cette abstention, Moscou envoie un signal : elle entend être une puissance d’équilibre, non un simple acteur de confrontation. Cette posture, à la croisée de la prudence et de la stratégie, s’inscrit dans une vision plus large de la présence russe en Afrique. Plutôt que d’imiter les méthodes occidentales, souvent rapides et médiatisées, la Russie opte pour la lenteur calculée, la réflexion et la construction progressive de liens durables. Elle ne cherche pas à imposer un modèle, mais à écouter et à comprendre. Cette diplomatie du dialogue, du silence et de la patience lui ouvre une place singulière : celle d’un futur médiateur entre Rabat, Alger et la communauté internationale. Loin d’être une marque d’indécision, l’abstention russe traduit la conscience d’un moment charnière. Moscou ne se positionne pas comme spectatrice, mais comme une puissance qui prépare le terrain pour des accords futurs, où son rôle pourrait devenir central. Dans le dossier du Sahara Occidental, la Russie semble vouloir s’ériger en acteur de sagesse, évitant les postures tranchées pour privilégier la stabilité régionale et le réalisme politique. Ce comportement reflète une diplomatie différente, fondée sur la patience et l’intelligence du temps long, et non sur la pression ou la précipitation.
Pour le Maroc, la résolution adoptée est une victoire éclatante : son plan d’autonomie devient le cœur du processus onusien. Le Royaume consolide son image d’acteur fiable, pragmatique et tourné vers la stabilité. Mais cette victoire s’inscrit dans un contexte où les équilibres internationaux se redessinent. L’Afrique, et plus particulièrement le Maghreb, devient un espace de rencontre entre trois visions du monde : la rapidité interventionniste de l’Occident, la prudence économique de la Chine et la patience stratégique de la Russie. Dans ce nouveau jeu diplomatique, chaque abstention compte plus qu’un vote affirmatif. En choisissant de ne pas s’opposer, la Russie et la Chine se placent comme des puissances de réflexion, capables d’attendre et de peser sur le temps. Leur attitude démontre que la force diplomatique, dans un monde multipolaire, ne réside plus dans le geste spectaculaire, mais dans la retenue calculée. S’abstenir devient une manière d’exister autrement, d’affirmer une indépendance et de préparer une influence future.
Ainsi, le 31 octobre ne marque pas seulement une avancée pour le Maroc, mais aussi l’entrée de la Russie et de la Chine dans une nouvelle ère diplomatique en Afrique. Leur silence n’est pas une absence : c’est une promesse. Avec patience et persévérance, Moscou et Pékin se positionnent comme les architectes possibles d’un nouvel équilibre maghrébin, où la sagesse et le temps remplaceront la précipitation et le dogmatisme. Dans cette partie d’échecs diplomatique, le Maroc avance son plan, l’Occident applaudit, mais la Russie et la Chine observent et préparent le coup suivant – celui qui, demain, pourrait redessiner la diplomatie du continent africain.





