Jeudi 26 septembre 2024, Alger a annoncé une nouvelle pour le moins insolite. La réinstauration avec effet « immédiat » du visa pour les Marocains. Cette décision a soulevé une vague de dérision sur la Toile, et pas vraiment à tort. En effet, qui des Marocains veut ou peut s’aventurer dans ce pays transformé par la junte au pouvoir en immense prison à ciel ouvert?
Votre modeste serviteur en a fait l’expérience à l’été 2003, lors de deux escales à Mostaganem et Alger, dans le cadre d’un périple organisé symboliquement à bord d’un bateau de guerre transformé en instrument de paix, sur une idée géniale de feu Richard Martin, alors vice- président de l’Institut international du théâtre méditerranéen (IITM), et sur une aimable proposition d’Ahmed Massaïa, alors directeur de l’Institut supérieur d’art dramatique et d’animation culturelle (Isadac). Voici mon ressenti.
Par M’Hamed Hamrouch
27 juin 2003, Mostaganem
A la veille de son arrivée à Mostaganem, le 27 juin 2003, une forte tension régnait sur le «Constanta», un bâtiment de guerre mis gracieusement à notre disposition par les Forces armées roumaines. Les passagers sont sur les dents. Ils savaient que leur équipée en Algérie n’allait pas être une promenade de santé.
Une réunion urgente est alors convoquée par Richard Martin. Lors de cette réunion, ce dernier a tenté de dissiper les craintes. Des consignes de sécurité ont été données: rester ensemble et éviter les lieux de grande fréquentation.
A l’heure du coucher de soleil, les amarres sont jetées. A quai, des amis algériens faisaient le pied de grue… pour nous accueillir.
Mais non, il n’y avait personne !!!
À part des hommes en treillis militaire et la kalachnikov en bandoulière, se pavanant de long en large… L’Algérie était-elle en guerre? Contre qui?
Mais que nos hôtes se rassurent, le «Constanta» ne portait pas d’armes. C’est avec des branches d’oliviers que nous étions venus, le cœur rempli d’affection envers un peuple meurtri par la guerre civile (années 90) et son lot de balles et de larmes (250.000 morts).
En plus, nous étions venus avec plusieurs tonnes d’aides pour la population de Boumerdes alors secouée par un tragique tremblement de terre.
La moindre des choses était de nous accueillir convenablement.
Or ne voilà-t-il pas un quotidien nous a gratifier d’un article incendiaire. « Des espions sionistes à bord du Constanta », a-t-il pétaradé (remarquez que c’est le même alibi qui a été invoqué, hier jeudi 26 septembre, par le MAE algérien pour justifier la réinstauration du visa pour les Marocains).
Quoi? «Nous espions?», s’indigne Richard Martin.
Omar Fetmouch, responsable de la section algérienne de l’Institut international du théâtre méditerranéen, est interdit d’accès au port. Le public, lui, a été éloigné et ne pouvait voir le navire qu’à travers les rampes à fer du port. «Vous êtes déclarés non grata à Mostaganem», se désole notre ami algérien, via son GSM. La patience des passagers est alors mise à rude épreuve. La bataille ne faisait que commencer…
Assiégés par les Robocops de l’Armée nationale populaire (ANP), les pacifistes, restés confinés au beau milieu du bateau, ne sont pas au bout de leurs peines tellement le temps était exécrable.
«Il paraît que le vent va se lever», se demande Richard Martin, descendu voir un militaire. «Ah non!», répond ce dernier, l’air rassurant.
Nous avons eu tort de le prendre au sérieux, car le vent ne tardera pas à souffler. Au-dessus du navire, comme pour compléter le tableau, le ciel s’assombrit.
«Mais que viennent faire des nuages dans un ciel d’été ?», s’interroge ce pacifiste, le ton narquois. « Qu’importe, mieux vaut traiter avec les nuages qu’avec … la bête galonnée!!! », assène-t-il, Un constat qui a fait rire mes amis du «Constanta» qui négociaient une autorisation de sortie du port.
C’est alors qu’un monsieur, joufflu et ventriloque, intervient, l’air grave. Sans s’embarrasser de formules de politesse, il taille dans le vif. «Vous êtes Moghrabi ?», me demande-il d’un ton faussement accueillant. «Vous êtes le seul Arabe sur ce navire?», enchaîne-t-il…
Ce n’étaient là que de fausses questions, il savait très bien qui j’étais, d’où j’étais et pourquoi j’étais venu.
Mon «délit», paraît-il, est d’avoir simplement voulu, en pacifiste convaincu, exprimer ma solidarité à des frères algériens opprimés.
Las, j’ai renoncé à visiter Mostaganem cette nuit-là. Mes amis, italiens, espagnols et français, me diront par la suite ce qu’ils ont vu.
Or, quelle n’a été ma surprise de découvrir qu’ils étaient talonnés à tout bout de champ par des éléments des services secrets. Il n’était pas question de faire quoi que ce soit sans être suivi des regards indiscrets des taupes. Un constat que j’ai vérifié in situ…
Après un nouveau round de discussions avec le préposé à mon interrogatoire, j’ai pu finalement décrocher l’autorisation-sésame!!!
Mon interrogateur était en fait «un cousin» originaire d’Oujda… sa belle-famille devait (toujours) résider dans la capitale de l’Oriental marocain.
Mais passons, car tout cela restait à prouver…
Il était 11h00, quand j’ai pris place sur la terrasse du café-restaurant «TOUT VA BIEN», situé au centre ville de Mostaganem. Une heure plus tard, voilà arriver mes amis du «Constanta», flanqués de deux agents des services secrets. C’était à ces deux-là que devait revenir la charge de «nous protéger» ! Et contre qui? Le Groupe islamique armé (GIA, bras armé de l’ex-Front islamique du Salut)? Ou l’armée elle-même?
Au fait, les deux agents avaient pour « mission » de contrôler tous nos déplacements.
La présence de journalistes à bord du bateau avait mis la puce à l’oreille des services soucieux de maintenir coûte que coûte le black-out sur les dérapages sécuritaires: rafles musclées, détentions arbitraires, exécutions sommaires, tortures et autres bavures perpétrées au nom de la sacro-sainte «lutte antiterroriste».
«Les attentats terroristes ont certes nettement diminué, mais les arrestations abusives, les détentions arbitraires et la pratique de la torture sont restées monnaie courante», s’insurge un jeune Algérien en s’invitant au café-restaurant «TOUT VA BIEN», sous le regard inquisiteur des services…
Le régime vert-kaki a semé la psychose d’attentats chez le civils algériens, pour justifier tous les excès imaginables.
S’agissant de notre équipage, il est clair qu’il n’avait pas besoin de la présence desdits services.
Notre déplacement à Mostaganem-ville a fait plutôt du bien à la population. Cette présence incarnait pour les jeunes Mostaganémois, un signe d’espoir et d’évasion… hors du chaudron militaro-sécuritaire.
Ce n’était d’ailleurs pas un hasard si nombre d’entre eux étaient interdits d’accès au port, le jour de notre arrivée. Ils ont dû suivre le spectacle joué sur l’héliport du bateau depuis les rampes de la corniche. Malgré le siège, ils ont pu communier, bougies à la main, avec des pacifistes venus leur dire qu’ils n’étaient pas seuls face aux outrances. Galonnées et barbues confondues !!!
Il n’en restait pas moins que cette situation profitait plutôt aux militaires qui ont amassé des fortunes sur les ruines du «Fils du pauvre» (Cf: roman de l’écrivain algérien Mouloud Ferraoun). Les barbouzes, lancées sur nos pas, ne se gênaient d’ailleurs pas à s’afficher en voitures branchées, leur carrure jurant avec les maigres silhouettes qui rôdaient dans les ruelles fantômes de Mostaganem.
Des jeunes se livraient à des petits métiers pour subvenir à leurs besoins alimentaires. D’autres, lauréats d’universités, ne savaient plus à quel saint se vouer. «Après avoir décroché ma peau d’âne, je ne sais plus où donner de la tête», déplore cette étudiante qui venait d’obtenir sa licence à l’université d’Agriculture de Mostaganem. Un autre jeune, croisé le 28 juillet 2003 sur la corniche, n’avait plus qu’un rêve: prendre le large le plus tôt possible… Une tentative qui n’est pas sans risque, il le savait, mais, pour lui, mieux vaut mourir noyé que mourir à petits feux. Les jeunes se sentaient très mal à l’aise dans ce maudit rôle de «hittistes», passant leur temps à raser les murs. Un état difficile à supporter dans un pays qui regorge toutefois d’énergies fossiles, avec ce que cela comporte de pétro et gazo-dollars.
Mais passons, le 28 juillet, le «Constanta» change de cap. Destination: Alger. Les pacifistes devaient prendre leur courage à deux mains. Ils se mettront bientôt à regretter l’étape de Mostaganem, plus clémente que celle qui les attendait à Alger…
A suivre…