Ce vendredi 12 juin 2020, le café matinal a un goût particulièrement amer. Une vidéo filmée et mise en ligne par un confrère donne à voir un homme méconnaissable, une mince silhouette affalée dans un lit modeste, la voix presqu’inaudible, les yeux perdus… il arrive à peine à prononcer des bribes de phrases entrecoupées de silences… Atteint d’une insuffisance rénale, entre autres maladies chroniques, il doit, ô Sainte Ingratitude!, faire aussi face à l’indifférence des hommes, ceux-là mêmes qui se bousculaient par le passé devant son domicile, ex-Carrières centrales (Hay Mohammadi), pour s’arracher ses textes écrits avec la patine de l’orfèvre et la précision de l’horloger, portés par les valeurs qui ne sont malheureusement pas « cotées » en Bourse…
Mais qu’a-t-il fait pour affronter aujourd’hui seul la maladie, l’indifférence de la société qu’il a pourtant toujours portée dans son coeur, l’ingratitude de ceux qu’il a servis généreusement et dont les plus proches se contentent maintenant de lui « téléphoner » sans toutefois daigner lui rendre ne serait-ce que visite et s’enquérir de son état de santé?
Qu’attendent les syndicats d’art pour porter assistance à l’auteur de l’immortelle « Souk al Bacharia » (le Souk de l’humanité), qu’il a écrite et qui a valu à son interprète en ce mémorable août 1996 au Caire, le non moins grand Abdelouahab Doukkali, le Grand prix de la Chanson arabe?
Qu’attend le nouveau jeune ministre de la Culture, Othman El Ferdaous, pour porter secours au « dernier Mohican » de la génération des pionniers de la scène lyrique marocaine?
Abdelouhab Doukkali, Abdelhadi Belkhayat, Samira Said, Aziza Jalal, Mahmoud Al Idrissi… ont tous chanté ses paroles serties d’humanisme, de patriotisme… il a également côtoyé les plus grands compositeurs de sa génération, tels Hassan Kadmiri, Mohamed Benabdessalam, Abdellah Issami, Saïd Chraïbi, Abdenbi Jirari, Brahim Alami…
L’abandon auquel fait face le poète Omar Talbani est indigne des grands sacrifices qu’il a consentis pour la scène lyrique nationale, il renvoie l’image de l’insoutenable légèreté d’une société devenue incroyablement amnésique, affreusement ingrate, où le futile est devenu « indispensable »; où la valeur de « l’artiste » n’est plus appréciée qu’au nombre de « vues » sur la centrifugeuse des réseaux sociaux; où le botox ou la coiffure des « people » sert désormais de baromètre de succès…
Il est temps, il était grand temps, de prendre soin des vrais artistes, à plus forte raison ceux qui ont porté au firmament la scène lyrique et artistique nationale.
À bon entendeur, salut!