Hajj Madani Ait Ouhanni ne pensait pas que sa vie allait prendre une autre tournure lorsqu’il accepta de prendre part à l’expédition scientifique de Thor Heyerdahl, l’explorateur et scientifique norvégien, qui est parti depuis Safi le 17 mai 1970 pour démontrer que des civilisations anciennes des deux côtés de l’Atlantique aient pu avoir contact à l’aide de bateaux en papyrus, avant que Christophe Colomb ne découvre le continent américain.
Aujourd’hui à 81 ans, Hajj Madani Ait Ouhanni se sent heureux et chanceux d’être le dernier encore en vie parmi les huit hommes ayant pris part à cette odyssée scientifique.
Le 50è anniversaire de ce grand périple, qui sera célébré dimanche par l’Ambassade de la Norvège au Maroc, est d’une forte symbolique et chargé de souvenirs pour ce Marocain qui faisait partie des 08 « heureux hommes élus » pour faire la traversée de l’Atlantique en compagnie de ce célèbre explorateur norvégien, à bord d’une embarcation en papyrus.
Cet ancien directeur de plusieurs établissements touristiques au Maroc, dont celui où étaient hébergés les membres de l’équipage de l’expédition « Ra II », a confié à la MAP que tout a commencé lorsqu’un des membres de cette expédition maritime et scientifique a désisté pour des raisons personnelles.
« Je me souviens que cette défection me donna l’occasion pour convaincre Thor Heyerdahl, avec qui je me suis lié d’une profonde amitié, de choisir un Marocain pour faire partie de l’aventure », se souvient-il avec émotion et fierté, relevant que le profil de trois Marocains proposés ne correspondait pas exactement aux attentes du célèbre explorateur norvégien.
« A la fin, le choix de Thor tomba sur moi », a-t-il indiqué, notant qu’il n’a pas hésité à accepter cette invitation inattendue car, cette aventure représente une occasion unique d’inscrire le nom du Maroc dans les annales de l’histoire. Un choix qu’il ne regretta jamais de sa vie.
Sur le choix de la ville de Safi comme point de départ de cette expédition, Hajj Madani Ait Ouhanni a expliqué que Thor était au courant que cette cité marocaine millénaire de l’Atlantique était dotée d’un port ancien, qui remonte au moins à l’ère de l’occupation romaine.
Hajj Madani, qui était âgé alors de 30 ans, se souvient des moindres détails de cette odyssée qu’il a vécue et dont les péripéties resteront gravées dans sa mémoire toute sa vie.
L’expédition avait commencé le 17 mai 1970 à bord d’une embarcation en papyrus construite selon la pure tradition de l’Egypte antique : pas le moindre clou, l’eau potable était conservée dans des cruches en terre cuite, juste un instrument pour mesurer le temps à la manière des anciens égyptiens, et une boussole pour orienter et éviter de se perdre dans cet immense océan.
L’objectif affiché de cette aventure consistait à démontrer par l’exemple qu’il est possible de naviguer en haute mer avec des embarcations en balsa, en papyrus et en roseaux.
Il s’agissait aussi de prouver que les anciens égyptiens étaient les premiers à découvrir le continent américain, 5000 ans avant Christophe Colomb, et à y laisser leurs empreintes dans la conception et la construction des pyramides, a-t-il expliqué.
L’expédition avait aussi permis de mesurer la pollution de l’océan Atlantique et grâce à Heyerdahl, la communauté internationale avait interdit en 1972 le déversement d’huiles usagées en pleine mer.
« Le périple avait atteint ses objectifs et nous sommes parvenus aux Iles Barbade (Caraïbes) le 12 juillet, soit après 57 jours de navigation maritime, et 6.400 km parcourus », a-t-il ajouté.
« Les membres de l’équipage, composé de 08 hommes, appartenaient à différentes nationalités et confessions, mais formaient une équipe soudée et unie par le même objectif : accomplir jusqu’au bout notre mission et notre rêve », a-t-il insisté.
« Nous arrivâmes sains et saufs à notre destination en dépit de la houle, des pluies tropicales, des tempêtes, de la faim, de certaines complications de santé, de la tension, du stress et de la peur de l’échec », a-t-il expliqué, se souvenant que l’équipe a vécu les pires moments lorsque le gouvernail de l’embarcation se brisa.
Cette expédition a transformé la vie de Hajj Madani, changé sa vision du monde et le rendit du jour au lendemain célèbre et une grande fierté pour ses compatriotes.
Cette mémoire vivante de cette grande aventure scientifique et humaine unique est sollicitée partout à animer des conférences, à apporter des témoignages, à partager les souvenirs de cette expérience dans les médias nationaux et internationaux et à participer à des commémorations en Norvège et dans son pays.
Après cette expédition, ses membres étaient restés liés entre eux par une profonde amitié qui transcende leurs différentes cultures.
« Nous sommes restés en contact permanent et nous nous rencontrions notamment lors de conférences et des commémorations où nous sommes sollicités à apporter notre témoignage sur cet exploit historique », a-t-il fait remarquer.
Ce natif de Marrakech qui vit à Safi depuis 20 ans, se sent fier d’avoir vécu un exploit humain de grande envergure.
« Quoi de plus grand, de plus valeureux que de participer à la traversée de l’Atlantique à bord d’une embarcation en papyrus », a-t-il dit.
Sa grande satisfaction reste indubitablement d’avoir dignement représenté sa patrie, hissé le drapeau de son pays et contribué au rayonnement international du Maroc.
Interrogé sur les moments forts qui l’ont marqué durant sa vie, Hajj Madani se rappelle, avec émotion et fierté, d’avoir eu le privilège d’être reçu par Feu Sa Majesté Hassan II et décoré par le président égyptien Jamal Abdennasser en compagnie des autres membres de cette expédition.
Avec fierté et patriotisme, Hajj Madani évoquera la lettre Royale adressée par Feu Sa Majesté Hassan II à Thor Heyerdahl, dont il garde soigneusement une copie.
Dans cette lettre, le regretté Souverain avait exprimé Sa joie « d’avoir pu assister à vos préparatifs, d’avoir encouragé votre initiative, de vous avoir permis de réaliser votre ambition à partir de nos côtes et d’avoir manifesté Notre confiance à votre projet et Notre joie à votre succès, en associant un de nos concitoyens à votre entreprise ».
En tant que témoin vivant de cette expédition, Hajj Madani compte publier ses souvenirs dans un livre afin d’offrir aux générations futures l’opportunité de prendre connaissance de cette belle histoire si passionnante.
Fouad BENJLIKA