Phénomène d’effondrement des colonies d’abeilles : Dites-le avec des mots

Le phénomène d’effondrement des colonies d’abeilles dans certaines régions du Royaume a défrayé la chronique ces derniers temps, donnant lieu à la multiplication des efforts et des sorties médiatiques des pouvoirs publics concernés et des associations d’apiculteurs en vue d’apporter des explications basées sur des constats in situ et des analyses pointues de laboratoire.

Si d’emblée la polémique suscitée par la désertion mystérieuse des abeilles donne l’impression à priori qu’elle devrait rester du domaine des spécialistes scientifiques et des apiculteurs professionnels, il n’en reste pas moins que ce phénomène a été bien avant abordé par la littérature, avec cette interrogation existentielle selon laquelle la disparition des abeilles annonce la fin du monde.

On cite à l’appui, à ce propos, le roman de l’écrivain et poète marocain Mohamed Achaari  »De bois et de terre », paru en septembre 2021 aux éditions Al Moutawassit. L’auteur s’y interroge sur la condition humaine au-delà des apparences, scrutant de son regard lucide et désenchanté la vraie essence de l’être et des choses.

Dans ce roman, Brahim, le personnage principal, est un banquier qui décide du jour au lendemain de changer de vie. Il quitte son travail, sa femme et sa ville, pour élire domicile dans un coin au cœur de la vaste forêt Maâmoura qui s’étend entre Rabat et Kénitra. Là-bas, il se convertit à l’apiculture. Un jour, il trouve un hérisson blessé. Ce qui le conduira à nouer connaissance avec une vétérinaire, Brigitte. S’ensuit après coup, une histoire passionnante d’amour.

Dans sa présentation de ce roman, la maison d’édition se focalise tout particulièrement sur le phénomène de la disparition des abeilles.

 »Alors qu’il était en train dans la matinée de prendre son café avant d’aller à sa banque, il tombe sur un article au journal  »Le Monde » qui évoque la menace qui plane sur la terre suite à l’extermination massive des abeilles dans le monde, lui qui ne portait aucun intérêt jusque-là aux abeilles et n’imaginait pas un seul instant que leur disparition signifie la fin du monde. Qu’à cela ne tienne ! Sans doute, pensait-il, que cela provoquerait une pénurie de miel qu’il n’aimait guère mais pas au point de sonner le glas de toute vie sur terre liée à un minuscule et fragile insecte qui meurt quand il pique et ne vit que quelques jours », lit-on en quatrième de couverture de ce roman.

Son auteur note également que  »l’idée de changer de vie trottait déjà dans la tête de Brahim. Mais il a voulu que cet article du journal soit le déclic qui sera après coup à l’origine d’un grand malentendu avec le monde autour de lui ».

Dans un commentaire sur  »De bois et de terre », le critique littéraire, Oussama Seghir estime qu’il est l’un des romans dans la littérature arabe qui s’éloigne du cadre urbain habituel, lui préférant un espace sylvestre où évoluent les personnages et les événements ».

Dans une déclaration à la MAP, il relève qu’il s’agit là  »d’une aventure littéraire audacieuse à haut risque en cela qu’il emprunte un chemin inhabituel », ajoutant que  »le romancier fait ainsi montre d’une profonde conscience écologique alarmé qu’il est par les menaces qui guettent l’Homme et la nature à cause de la disparition des abeilles, des êtres vivants de taille très modeste certes mais qui jouent plus que tout autre pollinisateur un rôle crucial et déterminant dans la perpétuation de la vie sur terre. Le vieux proverbe mille fois entendu s’impose en l’espèce:  »On a souvent besoin d’un plus petit que soi ! ».

En effet, Brahim, le principal personnage du roman de l’ancien président de l’Union des Écrivains du Maroc et lauréat en 2020 du très convoité prix international de poésie Argana, décide un jour de tout quitter, sortant de sa zone de confort pour donner un sens à sa vie, la vraie vie. Pour faire face à la menace, il élit domicile dans la forêt de Maâmoura où il s’adonne à l’apiculture. Une manière pour lui d’apporter sa pierre à l’édifice et à la perpétuation des espèces grâce aux abeilles, souligne notre interlocuteur, avant de mettre en avant de nouveau la valeur intrinsèque et l’importance de ce roman qui aborde des questions existentielles angoissantes.

 »C’est d’ailleurs ce qui explique le fait que le thème de la survie occupe une place majeure dans la littérature qui ne cesse de questionner l’existence contre, en revanche, toutes les formes d’extinction quelles qu’elles soient, des valeurs ou des idées intellectuelles ou encore des phénomènes historiques et naturels ne dépendant pas de la volonté de l’Homme. C’est à travers ce prisme que nous pouvons comprendre l’intérêt que porte le romancier Mohamed Achaari pour la disparition des abeilles dont dépend l’existence de l’Homme et de la nature », estime-t-il.

Par ailleurs, ce critique littéraire livre une explication toute personnelle de la disparition massive des abeilles en disant que cet insecte particulièrement actif a  »toujours été le symbole et un modèle du travail en équipe, illustrant aussi les valeurs de la solidarité, l’ordre, le sacrifice, l’effort ou encore la générosité, avant de noter que cette symbolique a été à juste raison exploitée par les différents genres littéraire, dans les poèmes, les chansons, les nouvelles et les contes.

Il soutient, à ce propos, que  »la collectivité des abeilles, incontestablement des insectes mythiques, représente un symbole de société. Et du coup, leur disparition signifie, par ricochet, la déliquescence du système des valeurs positives, supplanté par des comportements nuisibles comme l’individualisme, le narcissisme, la destruction mutuelle ou encore la haine, lesquels comportements menacent la cohésion de la société humaine censée vivre conformément les valeurs du bien et de la synergie.

Face à ce phénomène inquiétant de l’effondrement des colonies d’abeilles, les Nations unis ont tiré la sonnette d’alarme. Dans son rapport à l’occasion de la célébration, le 20 mai 2021, de la quatrième édition de la journée mondiale des abeilles, l’ONU note que les pollinisateurs ont un taux d’extinction qui est aujourd’hui de 100 à 1.000 fois plus élevé que la normale, indiquant qu’environ 35% des pollinisateurs invertébrés, en particulier les abeilles et les papillons, et environ 17 % des pollinisateurs vertébrés, tels les chauves-souris, sont aujourd’hui menacés d’extinction.

Et le rapport de mettre en garde contre les risques encourus par l’humanité si cette tendance se poursuit à savoir que les cultures nutritives telles que les fruits, les noix et autres légumes se verront remplacer par des cultures vivrières comme le riz, le maïs et les pommes de terre, favorisant ainsi des régimes alimentaires déséquilibrés.

De même source, on apprend que les pratiques agricoles intensives, la monoculture, le recours aux pesticides, les effets des changements climatiques, entre autres, la hausse des températures, la multiplication des sécheresses, les inondations et les perturbations des saisons de floraison, ainsi que le changement d’affectation des terres figurent parmi les principales menaces pesant sur les abeilles et les autres pollinisateurs.

Au Maroc, l’Office National de Sécurité sanitaire des Produits Alimentaires (ONSSA) avait fait savoir, dans un communiqué publié le 21 janvier dernier, que ce phénomène connu sous l’appellation scientifique  »Syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles » a été constaté également dans des pays en Europe, en Amérique et en Afrique, ajoutant que les recherches attribuent cela à plusieurs facteurs, entre autres, la faiblesse des précipitations, la diminution de la quantité et de la qualité de l’alimentation disponible pour les abeilles ou encore l’état de santé des ruchers et les méthodes de prévention suivies.

Cela étant dit, si les rapports des organisations onusiennes et des départements gouvernement mettent en cause les facteurs sus-cités, il n’en reste pas moins que le littéraire contribue d’une manière notable dans la sensibilisation quant à la gravité de ce phénomène écologique, amplifiant le bourdonnement des abeilles pour que toute l’humanité vole à leur secours et rompt définitivement avec les mauvaises pratiques qui portent atteinte à l’équilibre écologique. Pour que vive l’abeille, cette pollinisatrice serviable et hors pair.