Les Marocains ont-ils le droit d’utiliser leur langue maternelle? (Par Aziz Daouda)

Par Aziz DAOUDA *

Ils seraient 10 millions d’analphabètes au Maroc selon l’Agence Nationale de Lutte contre l’Analphabétisme (ANLCA).

Un chiffre à donner des sueurs froides.

Nous sommes bien au 21ème siècle.

Nombre de spécialistes préfèrent parler d’illettrisme, l’agence parle d’analphabétisme. Ne nous attardons pas sur le vocabulaire ou la sémantique et disons simplement que ce chiffre fait peur, très peur.

Il fait peur par son importance en tant que tel, mais pas que cela.

Il fait peur surtout parce que dès l’indépendance du pays, feu SM Mohammed V avait déjà lancé une politique et des opérations d’alphabétisation.

Depuis, tous les gouvernements qui se sont succédé, sans exception, avaient traité du phénomène, créé des structures administratives dédiées, entrepris des politiques pour améliorer la situation, mobilisé des budgets importants et bénéficié d’aides étrangères diverses.

Tout cela en vain.

Ce chiffre veut dire hélas que depuis 1957 â nos jours, aucune de ces politiques ni démarches n’a réussi.

Le taux d’analphabétisme officiellement déclaré par l’ANLCA est de 47,5% dans le milieu rural contre 22,6% dans le milieu urbain. Ce qui représente une petite baisse de 13% en milieu rural et de 6,8% en milieu urbain en comparaison avec 2004.

Aujourd’hui c’est donc une agence dédiée qui est en charge de faire disparaître l’analphabétisme ou l’illettrisme comme vous voulez.

Elle avait dit avoir une stratégie d’éradication de l’illettrisme et l’avait appelé savamment: stratégie 2014 -2024. Le but en était d’éradiquer l’analphabétisme en une décennie.

Plus d’analphabètes donc après 2024, nous avait fait miroiter l’agence.

Ambitieux ou réaliste, ce programme â eu le mérite d’exister, de faire travailler des gens sur une problématique si épineuse et surtout peut-être de nous interpeller sur la philosophie et la stratégie.

Hélas! L’échec est là et encore une fois on aura dilapidé des deniers publics sans réelle efficacité.

Depuis l’avènement de cette agence en 2014, l’Etat a botté en touche et confié la quasi-totalité des programmes à des associations. Seulement toutes réunies, elles ont encadré en 2021-2022 quelque 94.000 personnes. Chiffre bien maigre. Le Ministère des Habous, lui, déclare encadrer quelque 85.000 personnes pour la même période. Au total, tous programmes confondus, seuls 189.754 citoyens sont bénéficiaires dont une, une seule personne, tenez-vous bien dans les forces auxiliaires. C’est ce qui ressort d’une publication de l’agence.

A ce rythme, il faudra combien d’années encore pour enfin déclarer l’éradication de l’illettrisme au Maroc?

Le chiffre de 10 millions d’analphabètes est quasiment constant depuis près de deux décennies.

La promesse 2024 n’aura pas été tenue et c’était prévisible, tellement l’approche n’était pas judicieuse ni encore moins la philosophie sous-jacente à la réflexion.

Il faudra bien qu’un jour, chez nous, tout de même, à l’instar de toutes les nations modernes, tous les citoyens soient â même de lire et d’écrire.

A décortiquer la question, l’on ne se rend compte du déphasage entre la réalité de la vie de tous les jours et les statistiques officielles depuis des décennies, basées sur des critères au départ comportant un biais philosophique important.

Deux questions s’imposent avec insistance. Les réponses à leur apporter pourraient justement nous dégager de cette impasse où l’on s’est engouffrée depuis le recouvrement de l’indépendance.

La première est de savoir combien parmi les dix millions sont passés par le système scolaire national avec toutes les conclusions qu’il faut tirer d’une telle difformité singulière. C’est donc l’échec de l’approche que nous avons eue pour notre système d’enseignement et ses programmes qui continuent à produire des illettrés malgré la part budgétaire fort importante chaque année injectée.

La seconde est de circonscrire ce que nous entendons réellement par analphabète. Force est de constater qu’il s’agit officiellement de citoyens incapables de lire et d’écrire dans les langues de l’enseignement ou langues officielles, C’est-à-dire l’arabe de l’école et le français et c’est là le hic.

Ces mêmes citoyens, si nombreux soient-ils, s’ils disposaient simplement des rudiments de l’apprentissage ne seraient-ils pas capables de lire et d’écrire dans leur langue maternelle, celles que leur transmettent leurs mères, celles que nous utilisons dans notre quotidien, dans nos familles, au travail, dans nos activités sociales ?

Si nous ne sommes pas arrivés à venir à bout de ce problème grave depuis plus de 70 ans, c’est que quelque part l’approche n’est pas bonne et reste inefficace.

Est-il intelligent de persévérer dans la même voie ?

Force est de penser alors qu’il n’y aura point de solution tant que la question de la langue d’enseignement de base ne sera pas définitivement tranchée, en faveur de la langue maternelle commune.

Si vous questionner le mécanicien marocain sur son métier et ses techniques, dans sa langue maternelle, est-il capable de répondre ou non dans sa langue maternelle ? Il en est bien capable et vous répondra au même niveau de connaissances que l’américain, le hongrois ou le russe qui eux ne sont pas considérés comme analphabètes quoique ne parlant qu’une seule langue… Celle de la maison. Le Marocain, lui, sera considéré illettré parce qu’à l’occasion des recensements, à la question quelle langue vous parlez et écrivez, il répondra aucune parce qu’effectivement soit il n’a jamais appris les langues officielles, soit il a eu le temps de les oublier depuis qu’il a quitté l’école parce que justement il ne les utilise pas dans son quotidien, comme nous tous.

Il est temps de repenser la chose et de respecter tout simplement les recommandations des spécialistes et des instances internationales spécialisées qui insistent sans exception sur l’utilisation de la langue maternelle notamment dans les premières années de l’apprentissage; apprentissage de base sur lequel tout se construit par la suite. On aura moins de « hadr madrassi », on dilapidera moins d’argent et on fera disparaitre pour de bon l’illettrisme et l’analphabétisme.

Les Marocains ont le droit aussi de n’utiliser que leur langue maternelle. C’est ce qu’ils font tous au quotidien mais pas officiellement.

La langue des Marocains qui les unit du nord vers le sud et de l’est vers l’ouest est celle communément appelé Darija. La langue du Malhoune, La langue de plein de Dahir des sultans marocains, la langue de tous les métiers traditionnels, la langue qui a permis de consolider toute une civilisation, la langue qui s’est construite sur des siècles et des siècles, qui évolue chaque jours parce que vivante et qu’aucune autre langue n’est arrivée à surpasser dans cette région du monde.

En fait, c’est quasiment la langue de plus de 100 millions d’habitants, de l’atlantique jusqu’à la frontière ouest de l’Egypte?

*Directeur Technique et du Développement de la Confédération Africaine d’Athlétisme